Depuis le balcon

Je suis assis au balcon, au huitième étage de cet immeuble dans lequel j’ai emménagé il y a maintenant un peu plus d’un mois. Ce soir mon colocataire n’est pas encore rentré, et l’habituelle discussion légère du soir est remplacée aujourd’hui par un instant de calme.

Ce soir il fait frais ; avec cette chemise épaisse ça va, mais les jours se sont rafraichis dernièrement. Il semblerait que ce soit vraiment la fin de l’été. J’espère que l’on aura tout de même un weekend de répit ensoleillé avant que l’automne n’affirme sa présence.

J’écoute le bruit de la ville, à l’abri des immeubles. Un léger ronflement continue et informe, qui laisse place dès que l’on y prête attention à de lointains pneus sur le boulevard, accélérations de motos et autres sirènes. Il y a parfois également quelques voix ou un aboiement, provenant de quelque rue en bas.

Le ciel n’est pas tout à fait noir. Il ne le sera de toute façon pas plus que cela, limité par la pollution lumineuse à ce violet grisâtre aux ambitions d’orangé.

Devant moi, les tours du 13ème, et, plus près, quelques immeubles beaucoup moins élevés, aux appartements que l’on vendrait en disant « de standing ». Les couleurs des fenêtres sont sensiblement les mêmes. Il y a les appartements aux lumières éteintes, ceux aux lumières chaleureuses, et puis il y a cette fenêtre bleuâtre, avec ce gars probablement en train de jouer à un jeu vidéo sur son ordinateur tout en téléphonant semble-t-il. Il y a à l’autre étage elle qui bricole je ne sais quoi dans sa cuisine, et lui qui passe une main affectueuse sur ses omoplates en passant à côté d’elle. Il y a là bas quelqu’un qui ferme un rideau.

Parfois on distingue une personne, parfois même plusieurs – encombrement dans la cuisine, peut-être une soirée entre amis – mais la plupart de ces fenêtres ne sont que des rectangles colorés, de teinte allant de l’orange au jaune sensiblement vert, avec parfois une étoile étincelante, la lumière de la pièce.

C’est calme ce soir. Comme tous les soirs. C’est reposant d’observer ce paysage urbain après la journée. Rentrons.

Nuit orangée

Dans la peau d'un blogueur influent

Ce week-end j’ai participé à l’organisation de la convention Epitanime 2009, un évènement autour du manga, de l’animation japonaise et de certains aspects de la culture japonaise. Parmi les nombreuses anecdotes qui arrivent nécessairement dans ces cas là (c’est un forfait indivisible :-) ), je me propose de vous raconter celle où j’ai testé pour vous et malgré moi : être dans la peau d’un blogueur influent.

Je ne m’intéresse aucunement aux mangas, mais plus à la culture japonaise en général, ce qui n’est pas vraiment l’objet de cette manifestation. Aussi ce n’est nullement ce qui me pousse à y prendre part. La raison essentielle est simplement que participer à l’organisation d’évènements de cette taille est à la fois très enrichissant et vraiment amusant, bien qu’épuisant. De plus, la motivation et le travail de cette association suffisent à justifier de leur prêter main forte. Voir des gens se bouger pour faire des choses est trop rare pour ne pas être encouragé.

Les moments de calme sont idéaux pour saluer les personnes que l’on n’a pas vu depuis longtemps, ainsi que toute autre forme d’activité sociale. Organisateurs, spectateurs, presse… Amis ou simples visages connus, d’année en année on retrouve des habitués, des vieux même dit-on entre nous, et c’est parfois la seule occasion de l’année de les voir, notamment lorsqu’ils viennent de loin.

Samedi matin, alors que l’activité était encore calme dans la section dont je m’occupais, nous discutions donc avec légèreté (mais par moments aussi, lourdeur :-) ) de choses et d’autres… Tandis que le petit groupe que nous étions débattions de sujets aussi importants que comment chacun allait, le problème de la contrefaçon, ou encore la longueur des jupes, mon interlocuteur me passait sa peluche (ou alors c’est moi qui la lui ai prise, à vrai dire je ne me souviens plus), et je commençais à jouer avec, pour finalement la poser sur mon épaule et continuer à discuter en l’oubliant presque. Un mignon, quoi que poussiéreux, petit raton-laveur, avec comme chaque année ses quatre bracelets d’entrée (deux jours et deux nuits) attachés autour de la queue.

Habillé en Raton
(Merci Noryu pour la photo !)

C’est alors que rentrent deux visiteurs qui s’arrêtent stupéfaits en nous voyant, et s’exclament : « C’est la peluche du raton ? » Et moi de leur répondre « Oui, bien sûr », avec le ton de l’évidence de la personne pour qui cette peluche n’est que celle d’un personnage habituel et même obligatoire de la convention (qui a dit folklore ?). Les deux s’agenouillent alors immédiatement devant moi dans un simulacre d’idolâtrie : « On est… pas dignes ». Moi, avec un ton blasé, pointant le propriétaire de la peluche du doigt : « Raton, c’est lui… ».

Je me demande juste ce qu’a ressenti Raton en se voyant couvrir de fleurs à la troisième personne. :-) En tout cas il avait l’air touché par le discours de ses deux fans, une fois sa personne correctement identifiée. ;-)

Si demain je mourais, mes amis sur Internet le sauraient-ils ?

Vous êtes vous déjà demandé ce qu’il adviendrait de votre identité sur Internet si vous veniez à mourir ? Vos contacts sur Internet seraient-ils seulement au courant ? C’est une question que je me suis posée plusieurs fois, à mesure que le nombre de mes cyber-connaissances augmentait. J’ai un jour eu un début de réponse.

C’est bête à dire, mais on peut mourir du jour au lendemain, quelque soit l’âge, et de façon aussi violente qu’inattendue. L’association dont je fais partie organise un concours d’informatique. Chaque année nous envoyons un courrier aux anciens candidats encore en âge de participer pour leur proposer de retenter l’expérience. Une année l’une des lettres nous est revenue, avec au dos quelques mots de la mère du candidat, nous expliquant que celui-ci avait été tué, renversé par une voiture. Ça fait un choc, on ne s’y attend pas, surtout quand la limite d’âge est de vingt ans. Quelqu’un de moins de vingt ans, ça ne meurt pas, enfin seulement statistiquement. En fait si.

Et sans ce courrier, on ne l’aurait jamais su. Si on n’avait pas rencontré cette personne, si on n’avait pas eu ses coordonnées postales, et que l’on s’était contentés de la contacter par mail, autrement dit, si on ne l’avait connue que par Internet : aurait-on appris la nouvelle ? Il me semble probable que l’on n’aurait jamais eu de réponse, et pensé que la personne n’utilisait plus cette adresse, ou qu’elle n’avait pas l’intention de répondre. Elle aurait simplement disparu de notre paysage de connaissances sans laisser de trace, et certainement pas de deuil.

Alors que se passerait-il dans le cas d’un contact régulier, un ami ou une relation de travail, sur un réseau social, sur messagerie instantanée, sur IRC, ou sur une mailing-list ? Parmi mes contacts réguliers sur Internet, il y a les personnes que je côtoie dans la vie de tous les jours bien sûr, mais aussi des personnes que je ne vois plus car elles ont déménagé, voire se sont installées dans un autre pays. Cela dit ces personnes sont en contact avec des amis communs, aussi elles seraient probablement rapidement informées si quelque chose m’arrivait. Mais il y a également des personnes auxquelles j’attache de l’importance et que je n’ai pour autant jamais rencontrées, ou même qui habitent dans des pays où je n’ai jamais seulement mis les pieds. Il y a également des personnes que j’ai rencontrées, des amis mêmes, mais avec qui mon seul contact du fait de la distance et du décalage horaire est Internet.

Toutes ces personnes ne me voient qu’à travers mes mails, mon site, mon blog, mes photos… Bref par mon activité sur le net. Si tout à coup une telle personne ne donne plus de nouvelles : on se dit que ses horaires où ses habitudes ont changé, que sa charge de travail a augmenté, ou tout simplement qu’elle ne souhaite plus nous parler. On y accordera une importance pouvant aller d’un extrême, à l’autre. Selon les rapports avec cette personne. (^&

Ce smiley que je viens d’utiliser, je le l’aimais beaucoup. Un côté espiègle et original. Je ne l’ai jamais vu que sur les mailing-list de OpenGLUT et FreeGLUT (deux projets libres visant à remplacer GLUT, une bibliothèque propriétaire plus du tout maintenue). En fait, il n’y avait qu’une seule personne utilisant ce smiley, et le voir suffisait à identifier l’auteur du mail comme une marque caractéristique. Sur une telle mailing-list, les gens vont et viennent : il y a les mainteneurs, qui sont plus ou moins actifs par période selon leurs disponibilités, et les utilisateurs parmi lesquels on distingue les habitués de ceux qui passent sans jamais revenir. Alors lorsque quelqu’un ne poste plus, cela n’a rien de surprenant, et on le remarque ou pas. En ce qui me concerne, j’ai remarqué lorsque les smilies ne sont plus apparus. Je ne m’en suis pas inquiété, mais je l’ai remarqué. Son auteur devait être occupé, peut-être même au point de ne plus du tout pouvoir s’impliquer dans ces projets.

Et puis un jour, plus d’un an après. le responsable du projet a posté un mail, dans lequel les citations permettaient de voir le cheminement de l’information, depuis la mailing-list de NetBSD à celle de OpenGLUT puis de FreeGLUT. Avec dix mois de retard, on venait d’apprendre qu’il était décédé, tué par un chauffard ivre alors qu’il était en vélo.

Il s’appelait Richard Rauch, et était un contributeur important du projet NetBSD. Aussi son frère avait envoyé un mail aux responsables de ce projet pour les en informer. Le responsable d’OpenGLUT était tombé quant à lui sur ce message dix mois plus tard.

Je ne connaissais pas cette personne, j’avais seulement eu quelques échanges sur la mailing-list. Mais j’avais remarqué la disparition de son smiley si caractéristique, quelques mois avant la disparition de son auteur.

Le mail à la communauté NetBSD date du 14 mars 2006. Dans trois jours, ça fera trois ans.

ML freeglut : FW: [Fwd: Re: Richard Rauch]
NetBSD community : Richard Rauch gone
One of our own has fallen

Anecdotes de la Science – La tache de Poisson

Le casting de l’histoire qui suit est remarquable. Nous sommes en 1818. D’un côté, Augustin Fresnel (1788 – 1827) vient de remettre à l’Académie des Sciences un mémoire défendant une théorie complètement opposée à celle généralement acceptée ; de l’autre, François Arago (1786 – 1853), Jean-Baptiste Biot (1774 – 1862), Louis Joseph Gay-Lussac (1778 – 1850), Pierre-Simon Laplace (1749 – 1827) et Siméon Denis Poisson (1781-1840) composent le jury chargé de l’évaluer. Que des noms de théorèmes, des hommes qui ont construit la science. Mais la période est très particulière : les scientifiques sont là pour en découdre, car la bataille fait rage entre les partisans de la théorie corpusculaire de la lumière et ceux de la théorie ondulatoire.

Augustin Fresnel

Tout commence trois ans plus tôt, avec la rencontre en juillet 1815 entre Fresnel et celui qui deviendra son mentor, Arago. Le contexte politique est houleux : les Cent Jours se sont achevés le mois précédent avec la défaite de Waterloo, et Fresnel, royaliste, a été démis de sa fonction d’Ingénieur des Mines. Le contexte scientifique est l’immobilisme : la physique newtonienne est inébranlable.

Poussé par Arago qui voit son potentiel, Fresnel effectue chez sa mère, dans son village du nord de Caen, des expériences rudimentaires pour étudier la diffraction de la lumière. Le 26 octobre, il fait parvenir à l’Académie des Sciences un mémoire rapportant ses observations. Les franges qu’il constate au bord de l’ombre d’un fil de fer suivent une hyperbole, ce qui pour lui ne peut être expliqué par la théorie corpusculaire, laquelle devrait entraîner des lignes droites. Il envoie par la suite plusieurs autres mémoires, qui provoquent de vives réactions : l’opposition est de rigueur.

Le concours régulièrement organisé par l’Académie et visant à récompenser le meilleur travail sur une question choisie arrive à point : proposé le 17 mars 1817 et clôturant le 1er août de l’année suivante, il porte alors sur ce phénomène diffraction. Bien que rigoureux, il semble manifestement rédigé par un convaincu de la théorie de l’émission. Les détracteurs de la théorie ondulatoire pensent voir quelqu’un balayer cette dernière une bonne fois pour toute à l’occasion de ce concours. Arago, quant à lui, voit en Fresnel la personne capable de la défendre face à eux. Il le soutient autant qu’il le peut, et l’aide notamment à s’installer à Paris pour préparer le concours. Même André-Marie Ampère (1775 – 1836), pourtant publiquement newtonien, intervient afin que Fresnel rédige un mémoire avec ses nouveaux résultats.

Et finalement ce mémoire, remis au dernier moment, se trouve être le seul des deux reçus qui est retenu. Il est beaucoup plus poussé que les précédents, et est décrit aujourd’hui comme un chef-d’œuvre. Allant au delà des travaux de Thomas Young (1773 – 1829), l’auteur y propose un modèle permettant de prédire avec précision la position et la taille des franges, et présente l’expérience des miroirs de Fresnel.

Parmi le jury, Biot, Laplace et surtout Poisson sont de ceux qui sont fortement opposés à la théorie ondulatoire. Poisson attaque vigoureusement les arguments de Fresnel, fort notamment d’un résultat déduit de ses calculs et parfaitement contre intuitif : en plaçant un disque à une certaine distance entre un écran et une source lumineuse, on devrait observer une tache lumineuse au centre de l’ombre. Il voit là une démonstration de l’invalidité des résultats de Fresnel. Mais Arago le fait savoir à ce dernier, qui réalise l’expérience… et constate la tache lumineuse, telle que prédite par les calculs.

Sans avoir pour autant convaincu Biot et Poisson, cette anecdote, consignée par Arago, est la cerise sur le gâteau dans le succès qui couronne Fresnel. La tache lumineuse est quant à elle connue depuis sous le nom de « tache de Poisson ».

Un article sur la vie Ampère et Fresnel
Un article sur la vie de François Arago
« Mémoire sur la diffraction de la lumière » sur le site de l’Académie des Sciences (PDF)

Bienvenue à Shibuya

Shibuya est l’un des quartiers branchés de Tokyo : situé au sud-est de la ligne Yamanote, après les « salarymen » de Shinjuku et les crêpes de Harajuku, c’est le quartier des jeunes et des fringues. Il est dit que la mode y a déjà changé juste le temps de le traverser.

Shibuya, c’est ce que la télévision occidentale montrera du Japon dès qu’elle voudra effrayer ses spectateurs en seulement quelques secondes. Shibuya, c’est une grande claque dans la figure en sortant de la station, à laquelle rien ne peut préparer sinon être déjà venu. Il faudra bien quelques minutes au touriste pour se remettre du choc initial et commencer à songer à utiliser son appareil photo, qui pend autour de son cou tout comme sa mâchoire. Mais cela ne concerne pas que les étrangers : les Japonais sont tout aussi impressionnés la première fois qu’ils entrent dans cet univers.

Car c’est bien ce dont il s’agit : Tokyo a en effet de multiples visages, qui semblent être autant de mondes complètement différents, agglutinés et criant leur identité jusqu’à leur frontière. L’on change de rue et c’est tout un décor qui change. Shibuya est ainsi : c’est un quartier qui ne s’étend que sur quelques centaines de mètres, et si l’on suit une rue trop longtemps on a l’impression de s’être trompé, d’être sorti par erreur ou malgré soi d’une salle de cinéma, d’être passé de la couleur au noir et blanc, de l’évènement au simple quotidien.

Shot by accident

Étonnamment, Shibuya a également plusieurs visages au sein même du quartier : le carrefour principal et les rues qui en partent sont le Tokyo moderne, imposant, vertical, fait de verre et de néons, d’enseignes lumineuses, de publicités sur écrans géants, et de passages piétons musicaux ; mais un peu plus loin, au détour d’une rue, on découvre son autre regard, le Tokyo intime, ses ruelles tortueuses régulièrement interrompues par quelques marches, ses boutiques à peine assez larges pour une personne. D’un côté comme de l’autre, l’ambiance reste cependant la même : chatoyante, bariolée et euphorique.

Stairs in Shibuya

Ce fameux carrefour principal est d’ailleurs généralement la première chose que l’on voit en arrivant dans le quartier, dont il est l’entrée en quelque sorte. Sortie de la station JR, dont la cohue laisse présager que l’endroit est fréquenté, le regard se dirige naturellement vers le haut. Pas seulement parce qu’il n’y a pas grand chose à voir à l’horizontale si ce n’est le flot de personnes dont on fait alors partie, mais parce que le spectacle commence : des affiches qui semblent avoir escaladé les bâtiments pour trouver la plus haute place, des enseignes faites de néons et animées au rythme de leur changement de couleur, des écrans géants diffusant des publicités dont la bande sonore inonde la place. En face, le café Starbucks, surmonté d’un premier écran géant faisant écho à celui du bâtiment de l’autre côté de la rue. Par moment les deux diffusent le même spot, synchronisé. Dans les deux cas, on baigne de toute façon dans un bruit indescriptible, musical et joyeusement cacophonique. Bienvenue à Shibuya !

À mesure que l’on avance, on commence à percevoir ce qu’il y a devant, plus seulement le haut des magasins. On arrive alors au bord du trottoir, duquel on pourra franchir le passage piéton qui est peut-être le plus fréquenté au monde. Le carrefour de Hachiko, en référence à la statue du chien du même nom, est reconnaissable entre mille. Tandis que les piétons ont interdiction de traverser, les voitures passent tout d’abord dans un sens, puis c’est au tour des voitures de l’autre axe, et enfin c’est au tour des piétons : plus aucune voiture ne passe et la marée humaine s’élance. Comment pourrait-on l’appeler autrement ? Il ne s’agit pas de quelques dizaines de personnes, ni même d’une centaine, mais plus raisonnablement d’au moins un millier de piétons que le le trottoir déverse. Les derniers finissent de traverser en courant, et c’est alors à nouveau au tour des voitures, tandis que les trottoirs se remplissent à nouveau, qu’un rempart humain se construit, à une vitesse effrayante.

Rempart humain

Parmi les directions possibles, à gauche la rue mène entre autres à l’un des hauts lieux du quartier : le Shibuya 109, dont la tour est immanquable. Cette galerie sur huit niveaux plus encore deux niveaux souterrains regroupe une centaine de boutiques, collées les unes aux autres et disposées autour de l’unique escalator. Des vêtements et foulards aux bijoux en passant par les cœurs à coller sur son téléphone portable, absolument toutes s’adressent exclusivement aux filles : les seuls garçons que l’on voit dans cet endroit sont donc ceux venus acheter un cadeau, ceux trainés de force, et les quelques rares touristes. Chaque boutique a son style, allant du classique au gothique en passant par toute une palette d’identités, et afin de s’affirmer un peu plus, chacune à recours à un fond sonore : de la musique, forte, suffisamment pour couvrir celle de la boutique juste à côté. Le résultat est un vacarme invraisemblable : passer devant ces boutiques est comme zapper entre des clips musicaux sur une télévision grandeur nature. Il ne reste plus qu’à ajouter une clientèle féminine, jeune (depuis le lycée jusqu’au début de la trentaine), à la pointe de la mode, et très nombreuse pour avoir une image complète de l’endroit.

Symbol

Autre immeuble, autre commerce, autre ambiance : le game center. Il ressemble à n’importe quel autre, et respecte scrupuleusement les règles du game center. Le rez de chaussée comporte les machines attrape-peluche, « UFO catcher », accessibles en premier lorsque l’on rentre, et les purikura juste derrière. Puis à mesure que l’on monte les étages on passe par les jeux musicaux (encore que j’ai pu voir une borne DDR placée de manière fort accueillante à l’entrée :-) ), les jeux d’arcade, les jeux d’argent, et enfin les jeux oldschool. Ailleurs, un Mac Donald, nombre de karaoke, restaurants, etc. : on retrouve ses marques, car finalement c’est essentiellement un quartier où l’on vient pour consommer (et pas seulement en prendre plein la vue).

Dans la rue, dès que l’endroit le permet, chaque magasin y va de son stagiaire pour faire venir les clients. Elle est Japonaise (pas surprenant), mignonne (à vrai dire, pas surprenant non plus), d’autant plus avec son chemisier blanc, son pantalon noir classique et son panier en osier au bras, mais cela n’empêche pas les passants de l’ignorer avec détermination ou indifférence. Soudain, un garçon qui ne doit pas avoir plus de quatre ans d’écart fait l’erreur de lui prêter poliment attention lorsqu’elle lui adresse la parole en lui tendant un papier tiré de son panier. Il ne le sait pas encore, mais cela va lui coûter les dix prochaines minutes. De loin, impossible de les entendre ; d’ailleurs au delà de quelques mètres comment entendre distinctement qui que ce soit à Shibuya ? Mais la gestuelle dit déjà tout : elle lui vante les mérites d’une boutique dans une rue perpendiculaire et l’enjoint à la visiter. Son rôle est clair : la rue dans laquelle se situe la boutique n’est pas assez fréquentée, elle cherche à faire venir des clients depuis cette rue au contraire très passante. Il accepte gentiment le prospectus. Elle lui montre la direction, il a compris, acquiesce et tente de reprendre son chemin. Mais elle est obstinée, elle le rattrape, et lui montre à nouveau la direction de la boutique, elle est même prête à l’accompagner, tentant de provoquer le mouvement en faisant un pas avec un air de « Venez ! ». Ce petit manège dure un moment mais finalement, malgré sa gène à prendre congé, il reprendra sa route. Tel est le genre de scène qui s’offre au regard de quiconque prend un peu de temps pour s’arrêter et observer.

The city hunter

Ma description de Shibuya s’arrête ici, mais si vous souhaitez en lire une autre, je vous recommande chaudement celle-ci : Shibuya / Under Control. Avec un récit imagé et d’une rare pertinence, au point que si l’on connaît l’endroit on a l’impression d’y être à nouveau, c’est de loin la meilleure qu’il m’ait été donné de lire. Finalement, je crois que l’on ne peut qu’aimer ou détester cet endroit : il n’y a pas de demi mesure, et l’on sait à quel camp on appartient dès les premières minutes.?Pour ma part, c’est l’un des quartiers que je préfère dans le monde.