Anecdotes de la Science – Les conditions de Karush-Kuhn-Tucker

Même dans un domaine tel que les mathématiques, la postérité ne tient parfois pas qu’aux résultats publiés…

William Karush (1917 – 1997) était un mathématicien, professeur émérite de l’Université d’État de Californie à Northridge. En 1939, à l’âge de 22 ans donc, il publie sa thèse, intitulée « Minima of functions of several variables with inequalities as side conditions ». Son travail passe alors complètement inaperçu.

Albert Tucker (1905 – 1995) était un mathématicien, ayant passé la majorité de sa vie autour de l’université de Princeton. On compte parmi ses thésards de célèbres mathématiciens, dont le prix Nobel d’économie John Nash.

Harold Kuhn (né en 1925) est un mathématicien, collègue de promotion et ami de John Nash, qui sans avoir été sous sa direction a néanmoins bénéficié des conseils de Albert Tucker pour sa thèse et d’autres articles. En 1951, il publie avec ce dernier l’article « Nonlinear programming », qui présente les conditions dites de Kuhn-Tucker, et rencontre aussitôt un grand succès auprès de la communauté scientifique.

La thèse de William Karush exprimait en fait pratiquement les mêmes conditions, et ce n’est qu’alors qu’il a reçu une reconnaissance. Par égard pour l’antécédence, on parle donc des conditions de Karush-Kuhn-Tucker.

Article « William Karush » sur Wikipedia (en anglais)

Avoir vingt ans de moins

Avoir vingt ans de moins, c’est un peu l’impression que j’ai parfois lorsqu’il s’agit d’apprendre le japonais et la culture japaise.

Même si avec sa grammaire très logique et son faible nombre d’irrégularités cette langue n’est pas particulièrement difficile, elle est tellement éloignée des langues indo-européennes que son apprentissage prend nécessairement beaucoup plus de temps que bon nombre de langues européennes. Rien à voir avec une langue comme l’anglais, l’italien ou l’espagnol par exemple, qui partagent avec le français une structure similaire, quand elle n’est pas rigoureusement identique, dont le vocabulaire provient de racines communes, et dont la façon d’exprimer les idées est la même.

Aussi, même après quelques années, faute de les avoir passées sur place, en immersion complète comme on dit, les phrases sont construites avec peu d’assurance et avec beaucoup de fautes, plus ou moins graves. Celles-ci vont de la vraie erreur facile à corriger, à la tournure correcte mais qui ne s’utilise pas pour une raison inconnue et qui trahit sans hésitation quelqu’un dont ce n’est pas la langue maternelle. Au final, sans surprise, n’importe quel enfant japonais en âge d’être en école primaire parle mieux que moi. Je me suis même vu expliquer, d’une façon remarquablement claire, une construction grammaticale de base par un enfant de six ans.

Le japonais, comme chacun le sait, utilise de plus un système d’écriture complètement différent de l’alphabet auquel on est habitué, aussi bien graphiquement que fonctionnellement. En fait d’un système d’écriture, il en utilise trois : deux syllabaires, relativement simple à apprendre, et des kanji venant directement des idéogrammes chinois. Ces derniers se comptent par milliers, et en connaître 2000 est considéré comme le minimum requis au sortir du lycée. Mis à part le travail que cela peut représenter, l’apprentissage de l’écriture japonaise a ceci d’amusant qu’il revient purement et simplement à apprendre à écrire. Mon écriture japonaise est-elle incertaine et laide comme celle d’un enfant ? Je n’ai pas le recul pour le dire, mais c’est très probable (d’autant qu’objectivement, mon écriture est de toute façon catastrophique :-) ).

Enfin, parmi les différentes activités pratiquées en vue de cet apprentissage, le visionnage de films et de drama (séries japonaises) est un bon moyen d’habituer son oreille à la langue, d’apprendre les expressions idiomatiques, les différents niveaux de langage, ou tout simplement de se mettre à l’épreuve. Mais se pose un nouvel apprentissage, culturel, beaucoup plus innattendu. La culture japonaise est bien entendu elle aussi très éloignée et très différente de la notre, jusque dans des détails qui pourraient sembler universels. Cela ressort bien évidemment dans les fictions.

Mais les fictions ont, tout comme ici, fortement recourt à une certaine symbolique, qui peut-être plus ou moins détachée de la réalité. Baigné malgré soi dans un monde d’histoires depuis l’enfance, on apprend très tôt à distinguer la réalité, la symbolique et la fiction. Mais voilà que dans ce nouveau monde d’histoires, je ne sais plus faire cette distinction, et il me faut à nouveau apprendre à la faire.

Dans ces moments, j’ai parfois l’impression d’expérimenter un retour en arrière de vingt ans.

Instants de vie

Les villes japonaises se ressemblent énormément. Un quadrillage de rues bien alignées, des enchevêtrements inquiétants de câbles électriques, des blocs de bâtiments complètement hétérogènes mais avec pour point commun les dissipateurs de climatisation et les ballons d’eau, une grande galerie couverte, des routes et des voies de chemin de fer superposées sur plusieurs étages…

Lorsque l’on passe dans une ville en train, et notamment en Shinkansen, les voies arrivent souvent à hauteur de fenêtres d’immeubles, et l’on saisit malgré soi des instants de vie au moindre regard à la fenêtre. L’image est fugace, au point que l’on a à peine le temps de la comprendre et elle a déjà disparu, mais cela suffit à en percevoir l’atmosphère.

Ici c’est une étudiante qui passe un entretien oral dans une grande salle de cours où sont seules présentes son examinatrice et elle. Là c’est une réunion de travail au bureau. Ailleurs c’est un employé qui n’est pas encore parti alors que le bureau est déjà vide, ou encore une femme qui est assise seule dans sa cuisine.

On ne sait pas qui sont ces gens, on n’a pas le temps de se souvenir de leur visage ni de l’endroit où ils habitent, on sait qu’on ne les reverra jamais, qu’on ne saura jamais rien d’eux, ni comment ils s’appellent. Et pourtant, l’espace d’un instant, on a perçu une image de leur vie, depuis la fenêtre d’un train sans numéro ni destination qui passait devant leur fenêtre.

Instants of life

Prendre en photo une inconnue

Samedi tard le soir, station Trocadéro, attendant un métro qui est peut-être le dernier, dans cette ambiance si particulière qui donne l’impression que tout le monde est euphorique, il y a une jeune femme assise sur le quai d’en face. Enfermée dans son monde, elle chante silencieusement au rythme de son balladeur.

Elle occupe le troisième siège d’une rangée de huit, derrière lesquels l’espace publicitaire présente dans un brouhaha visuel et coloré les différentes pièces de théâtre à l’affiche. Habillée d’un tailleur noir, elle constraste avec les sièges verts, le mur blanc, et l’affiche.

La composition serait intéressante, et ferait peut-être une bonne photo. Seulement voilà : comment sortir un appareil et faire un cliché sans l’importuner ? Comment lui demander son autorisation depuis le quai d’en face sans rompre cette ambiance ?

Finalement, il n’y aura pas de photo, et juste un souvenir.

Le privilège de l'ancien élève

C’était il y a quelques années : un camarade et moi même devions à l’occasion d’un retour dans notre ville d’origine retrouver un enseignant du lycée où nous avions étudié tous deux. Arrivés trop tard en ce samedi après-midi ensoleillé, il ne nous restait plus qu’à nous promener avec nostalgie sur les quelques hectares du campus, et notamment ses niveaux secrets, avec l’excuse fallacieuse de rechercher cette personne dans ces lieux improbables.

Sur le chemin de la sortie, nous nous arrêtons devant un panneau informant entre autres des dernières commandes de matériel informatique : un bon moyen de se tenir au courant de l’actualité technologique de son ancien lycée. C’est alors qu’une voiture s’arrête doucement à notre hauteur. Nous attendant sans le moindre doute à nous faire chasser des lieux dans les instants qui suivent, c’est sans chercher de justification que lorsque le conducteur nous demande ce que nous faisons ici, nous répondons simplement que nous sommes anciens élèves.

Notre interlocuteur se présente alors comme étant le proviseur, avant, à notre surprise, de nous annoncer cordialement : « Vous êtes ici chez vous. ».

Voilà un accueil qui nous aura fait très plaisir.