Les sourires

Parfois il y a le sourire resté sans réponse. On croise le regard, on tente d’être celui qui commence, mais la réaction ne vient pas, ou elle n’est faite que d’une grimace forcée qui demande toute l’imagination du monde pour y voir un sourire. Alors celui que l’on essayait de débuter meurt, trop faible et trop seul pour survivre. Les regards se fuient pour ne pas regarder l’inconfort dans les yeux.

Mais le plus mémorable reste toujours le sourire incontrôlable. Souvent il commence discret, sans que l’on sache trop pourquoi il naît ni qui l’a commencé. Mais se répondant de part et d’autre, il grandit, prenant de la force, échappant à tout contrôle et balayant les masques que nous pensions porter. Deux sourires rayonnants auxquels aucun des deux auteurs ne peut rien, ni ne le veut d’ailleurs. Un instant d’intimité entre deux étrangers.

Ce genre de sourire reste présent en mémoire pendant des années, et si plusieurs années après je me souviens de ces instants partagés, alors sûrement ces personnes s’en souviennent également. Nous ne nous connaissons pas, mais nous nous souvenons, nous partageons cet instant.

Presque témoin d'une catastrophe

Répondre à chaque personne qui me demande si tout va bien est devenu impossible avec les évènements qui ont accéléré. Aussi je publie ici le récit de ces derniers jours, à commencer bien sûr par le séisme de vendredi, depuis mon point de vue de Français résidant à Tokyo.

Vendredi en début d’après-midi, le fameux séisme a donc commencé. Au début on a l’impression d’avoir un peu la tête qui tourne : dans le bureau les regards se croisent et rapidement chacun comprend que non ça ne vient pas de lui, ça bouge vraiment. Et puis ça s’amplifie petit à petit. Tout le monde commence à sourire : ah oui on le sent bien, ça tremble, c’est presque amusant. Et puis ça continue de s’amplifier : les écrans sur mon bureau oscillent un petit peu. Les gens se lèvent et s’échangent des sourires complices provoqués par cette curiosité en train d’arriver. On entend quelques rires : il commence à être gros là quand même. Un tableau posé en équilibre sur un bureau manque de tomber, la personne le rattrape. Ah ce stade ça commence à bien secouer. Pas d’objets qui tombent partout et on tient largement sur nos jambes, mais tout de même ça tangue, autant que dans un TGV. Je dis en plaisantant à mon collègue que la mer est haute. Les regards continuent de se croiser : faut-il commencer à s’inquiéter, sortir des locaux ? Et puis ça reste à cette amplitude et finalement ça redescend.

Tout le monde est assez amusé. Les gens poussent des « ouah » en découvrant qu’une dalle de faux plafond s’est en partie déboitée, il y a des rires. Ça faisait vraiment longtemps qu’il n’y en avait pas eu un gros comme cela à Tokyo. C’est le plus gros depuis… un an que mon collègue habite ici, dix ans pour celui-ci… Et puis on commence à s’enquérir du reste du monde. Dehors des gens sont sortis et attendent calmement. À la télévision, qui a été allumée et ne sera plus éteinte jusqu’au lendemain, on voit les premières images du tsunami : une route qui commence à être submergée, des voitures qui commencent doucement à être emportées. Encore des « ouah, c’est fou ! » : personne ne se rend encore compte de ce que l’on est en train de voir en direct. On se dit dommage pour les voitures, on rend compte que c’est gros, pas encore que c’est catastrophique, et encore moins que c’est dramatique.

Ça continue de trembler par intermittences, et rapidement, la réplique arrive. Beaucoup plus rapide à monter, mais moins forte que la première secousse. L’après midi est un enchaînement de petites secousses, auxquelles on se fait étonnamment rapidement. Non pas que l’on apprend à faire avec – elles ne sont vraiment pas gênantes – mais elles sont tellement nombreuses que le corps commence à s’habituer et à intégrer inconsciemment que c’est comme ça, comme si ça n’allait plus s’arrêter, un peu comme on s’habitue à vivre à un endroit ou l’on sent le métro qui passe.

À ce stade donc, tout va bien : il n’y a eu pour ainsi dire aucun dommage, pas de panique, pas de réelle inquiétude au delà de la question de sortir ou non, et dans la rue aucune scène de panique. Les images à la télévision passent en boucle, montrant l’aéroport submergé ou des maisons emportées. Vraiment c’est très gros, ils ont l’air d’avoir eu énormément de dégâts, mais on ne se rend toujours pas bien compte.

La presse française quant à elle est hystérique, parle de scènes de panique à Tokyo, et semble faire l’amalgame entre la zone du séisme, Tokyo, et le Japon tout entier. Comme si un incendie à Rennes menaçait Paris. À la lire, Tokyo est à feu et à sang. J’envoie alors un mail à ma mère pour lui expliquer que tout va bien, en prévision de sa réaction en voyant les journaux le matin, dans quelques heures.

En fait le seul vrai problème sur Tokyo aura été l’arrêt automatique des trains. Impossible de rentrer si on habite loin, les taxis sont pris d’assaut, sans parler du coût exorbitant pour traverser la ville. Alors le réflexe des gens en voyant qu’ils vont rester bloqués pour la nuit est bien sûr d’aller acheter à manger et à boire. Et comme ils le font tous en même temps, les commerces sont rapidement vides. Encore une nouvelle qui va enflammer la presse qui pourra parler de fin du monde…

Mais à ce stade, la situation est beaucoup moins grave à Tokyo qu’elle ne peut l’être à Paris un jour de grève générale en octobre. Vraiment.

Earthquake aftermath in Tokyo - 3/3

Et puis pendant le weekend il y a eu cette histoire de centrale, et là nous autres Français avons commencé à nous inquiéter vraiment. La centrale est en bord de mer, vient de subir un tremblement de terre historique suivi d’un tsunami lui aussi historique. Tout à coup les 250km qui suffisaient largement à atténuer le séisme paraissent bien insuffisants en cas de catastrophe nucléaire. L’accident en Ukraine avait eu des conséquences sur plusieurs milliers de kilomètres dans la direction du vent !

La presse française est à nouveau hystérique et ne tarde pas à parler de nouveau Tchernobyl. Les anti-nucléaires se déchaînent, les politiques commencent à récupérer l’évènement pour leurs petits projets électoraux personnels, et tout cela fait un brouhaha au milieu duquel nous ne savons plus quoi écouter. Les informations au Japon au contraire sont très rassurantes et minimisent l’incident. Seulement la dernière fois qu’il y a eu un incident nucléaire, la compagnie qui gérait la centrale avait menti en niant un rejet radioactif dans l’atmosphère.

Devant le manque d’information fiable ou claire, mon réflexe a été d’une part de me dire que la voix de la sagesse viendrait de l’Ambassade de France dont je suivrais ses recommandations, et d’autre part de contacter un spécialiste en nucléaire de mes relations pour lui demander une explication.

L’explication n’a pas tardé à venir, de lui comme d’autres spécialistes. Tout d’abord un nouveau Tchernobyl n’est tout simplement pas possible, ce que la presse française s’accordera également à dire le lendemain. Les réacteurs se sont arrêtés automatiquement avec le tremblement de terre et le problème à l’heure actuelle est leur refroidissement, alors que l’accident de la centrale de Tchernobyl avait pour origine un emballement incontrôlé de la réaction. De plus elle ne disposait pas d’enceinte de confinement et quand les choses ont mal tourné le cœur s’est retrouvé à l’air libre. La centrale dont il est question ici dispose d’une telle enceinte et donc même si le refroidissement échoue, le cœur restera confiné.

Entre temps il y a eu cette explosion, dont les images sont très impressionnantes. La presse part en délire et on peut même lire qu’il y a eu une explosion nucléaire ! Excédé, j’ai rédigé une lettre ouverte à l’attention d’un journal d’information à grande visibilité à ce sujet, en expliquant à quel point annoncer ce genre de nouvelle complètement erronée était grave. Cela rend la situation très difficile pour nous autres ressortissants étrangers, pour qui s’informer afin de savoir quelle attitude adopter pour notre propre sécurité est difficile. De plus à chaque annonce de fin du monde on reçoit nombre de mails de proches extrêmement inquiets, et certains reçoivent des appels de leur famille en pleurs.

L’ambassade quant à elle est passée de l’absence de recommandation pour Tokyo le lundi matin, à la recommandation lundi soir de quitter la région si l’on n’a pas de raison de rester, à la recommandation mardi matin de quitter la région si l’on n’a pas de raison essentielle de rester.

Malgré tout quitter la région de Tokyo ne semble pas nécessaire. C’est la conclusion à laquelle j’arrive désormais très rassuré par l’analyse de la situation par ces spécialistes en qui j’accorde une confiance incomparablement plus élevée qu’à des journalistes parfaitement illettrés en matière de nucléaire, quand ils ne forment pas tout simplement une fange en quête de sensationnalisme. De plus le décalage entre leur couverture du séisme et ce dont j’ai été témoin n’aide pas à leur accorder le moindre crédit.

Malheureusement les nouvelles évoluent très vite. Hier une deuxième explosion avait lieu, et ce matin j’apprends qu’il y en a eu une autre pendant la nuit. Ou alors s’agit-il de la même ? La presse n’est pas claire sur l’heure : s’agit-il de l’heure de Tokyo ou de Paris ? Y a-t-il eu deux ou trois explosions ? On peut lire que l’enceinte aurait été endomagée, on peut lire un démenti. On peut lire que le vent a tourné et qu’une radioactivité a été détectée dans une préfecture à 100km à peine au nord de Tokyo, mais on ne sait pas à quelle heure. On peut lire que cette radioactivité ne présente pas de danger, mais je ne connais pas les ordres de grandeurs. Là encore analyser la presse prend trop de temps et ne peux pas me faire une opinion.

Prenons le pire cas : l’explosion a eu lieu cette nuit et a effectivement endommagé l’enceinte, et le vent est dirigé vers le sud. Tokyo serait alors touchée en quelques heures seulement. La décision est donc prise : je prends le premier train pour Nagoya, et je réfléchirai sur place, chez mes amis que je vais d’ailleurs retrouver avec un grand plaisir.

Si je m’en tiens aux articles techniques détaillés, il n’y a absolument aucun risque, et une radio du thorax ferait plus de dommages. Mais je ne sais pas comment a évolué la situation et ces articles n’envisageaient pas une brèche de l’enceinte de confinement. Très honnêtement je ne pense pas qu’il y ait de drame, et il n’y aura certainement pas d’hiver nucléaire comme on a pu le lire. Mais le risque même infime me semble désormais trop élevé.

Mise à jour : j’ai rédigé cet article ce matin à Tokyo et sur le trajet vers Nagoya. Après avoir longuement discuté avec le même spécialiste, il apparaît que l’ensemble des hypothèses sur lesquelles reposaient ces analyses ont volé en éclats, et que la situation est maintenant complètement incertaine. En effet, le refroidissement qui passait pour acquis est à nouveau problématique, et tant que ce problème subsiste tout est possible, y compris le pire. J’ai bien fait de m’éloigner.

En conclusion la catastrophe, ça aura aussi été la presse francophone. À l’heure où la presse s’inquiète de son avenir et où la France est pointée du doigt au sujet de sa liberté de la presse en recul, pour ma part je remarque surtout que dans son ensemble la presse d’information a atteint un niveau de qualité dramatiquement bas, au point d’avoir été un problème, j’insiste, pour notre sécurité. Puissent les journalistes faire preuve de plus de sens critique et avoir la modestie de faire appel à des experts pour analyser des situations qui les dépassent.

Enfin ma situation est tout de même restée relativement enviable jusqu’à présent, aussi ma sympathie va aux victimes, rescapées ou disparues, et aux équipes de la centrale qui font face depuis quelques jours à une situation extrême, tandis que mes sincères remerciements vont à la personne qui se reconnaîtra d’avoir eu l’amabilité de m’éclairer et de m’indiquer des sources d’informations fiables au milieu de cette crise.

Joel Spolsky

Je réalise qu’il y a deux catégories de programmeurs, et je ne parle pas de ceux qui ont un pistolet chargé par opposition à ceux qui creusent. Parmi toutes les classifications possibles des programmeurs, il semble qu’il y a ceux qui savent qui est Joel Spolsky, et les autres. C’est essentiellement à ces derniers que s’adresse ce billet. C’est aussi une tentative de ma part d’écrire quelque chose de longueur modérée, plutôt que d’avoir un article trop long tous les trop longtemps.

C’est dans la société où je travaillais il y a quelques années que j’ai découvert ce nom, et à peu près tout le monde connaissait. Il m’est arrivé au contraire à plusieurs reprises de me rendre compte en en parlant avec un groupe d’amis qu’aucun d’eux ne connaissait. Pourtant je suis à peu près certain que la plupart connaissent le site Stack Overflow, dont Joel Spolsky est le cofondateur. Finalement cela m’a donné l’impression que soit les gens connaissent, évidemment, et font des yeux ronds lorsque l’on pose la question, soit ils n’en ont jamais entendu parlé, et font des yeux ronds lorsque l’on pose la question.

Couverture de Joel on SoftwareJoel Spolsky est un programmeur célèbre pour avoir tenu un blog relatant son expérience et exprimant ses convictions sur différents thèmes gravitant autour du développement logiciel : JoelOnSoftware. Avec le succès de ses articles, un premier recueil des plus populaires d’entre eux a été imprimé sous forme de livre, Joel on Software, puis un second, More Joel on Software. Il y a également le livre Smart and Get Things Done sur le thème plus restreint du recrutement, toujours dans le développement logiciel, et un dernier que je n’ai pas lu.

Derrière la couverture austère du premier livre, qui pourrait laisser présager de soporifiques considérations de génie logiciel, se cache un contenu pragmatique, très enrichissant et rédigé dans style accessible. La nature de recueil d’articles en particulier rend la lecture aisée. Certains enfoncent des portes ouvertes avec l’encadrement et même un peu du mur, d’autres semblent exagérés ou de second degré, et l’on n’est pas forcément d’accord avec tout. Mais le propos, présentant les convictions (souvent extrêmes) de l’auteur, ainsi que de nombreuses anecdotes (notamment son expérience au cœur de l’équipe Excel à Microsoft), reste néanmoins d’une grande pertinence de bout en bout, et le ton sait rendre la lecture agréable.

En un mot comme en cent : lisez-le.

nd on Diverse and Occasionally Related Matters that Will Prove of Interest to Software Developers, Designers, and Managers, and to Those Who, Whether

Maxime

Hier j’ai fait la connaissance de Maxime. Il devait être pas loin de huit heures du soir, je marchais dans les rues du 13ème arrondissement de Paris, en plein quartier chinois, cherchant du regard une boutique qui proposerait des services d’encadrement, quand j’ai entendu un voix discrète sur ma gauche qui tentait timidement de m’interpeler.

C’était un jeune homme qui se tenait assis sous un petit porche. N’ayant pas compris sa phrase, quoi que me doutant un peu du contenu, je lui fais répéter. « Vous n’auriez pas une pièce ? » « Peut-être. » Je fouille dans mon porte-feuille tout en entamant la discussion. Il semble particulièrement jeune : des traits bouffis de fatigue sur un visage de lycéen.

Maxime a 20 ans. Il n’est bien sûr aucunement qualifié, et ce d’autant moins qu’il a pour seul diplôme un BEP. Il est à la rue depuis octobre ; presque un an, en attente d’une place dans un foyer, mais ça n’avance pas. Pas de famille, pas de potes, et puis au bout d’un moment on ne peut pas abuser de l’aide des gens. D’ailleurs son compagnon d’infortune, que je n’ai pas rencontré mais dont il m’a parlé, en a payé le prix : à lui rendre service il s’est retrouvé lui aussi à la rue. Il est le plus âgé des deux : 21 ans.

Je lui demande comment ils dorment, comment ils se douchent… Dormir, c’est ici ou là, dans la rue, à même le sol. Ils n’ont pas de sac de couchage ou de tapis de sol, car ça pose des problèmes de posséder de l’équipement quand on n’a pas de chez soi. Alors dormir est un bien grand mot : c’est une somnolence de quelques heures. Ceux qui ont déjà dormi sur du bitume le savent bien. La toilette se passe au Mac Do ou autre endroit du genre. Pour les douches ils ont essayé les bains public, mais la description qu’il m’en donne suffit à me faire comprendre pourquoi ils n’y retournent pas. Ils ne connaissent pas de squat ; ils ont déjà fréquenté des gens, mais avec la drogue ils ont préféré s’éloigner. Ses propos transpirent l’humilité et l’intégrité.

Alors ils économisent jour après jour afin de pouvoir s’offrir une nuit d’hôtel une fois de temps en temps. C’est le seul moment où ils peuvent recharger leurs batteries dit-il. Là ils peuvent dormir, prendre une douche. Mais l’hôtel c’est cher, et lui n’arrive à faire qu’une dizaine d’Euros par jour, « Alors 20 Euros, sa phrase est restée en suspend, 20 Euros c’est trop ». Pourtant quand on travaille, 20 Euros ça représente au plus à peine deux heures de travail. Mais comment travailler dans cette situation ?

Je lui demande quelle est la dernière fois qu’il a travaillé : un chantier, en février. Mais le patron a fini par lui faire arrêter, s’inquiétant de sa santé avec l’hiver. Et pour trouver du travail, il faut un CV, un téléphone… Pendant la discussion un asiatique est passé rapidement, lui annonçant sans lui promettre que c’était peut-être bon pour demain. Un plan pour une carte SIM. « C’est sympa, il n’est pas obligé de nous aider comme ça. » Et puis tout coûte cher : pour faire un CV, etc.

En deux mots, à un âge où ils devraient être à l’université ou apprentis sur un chantier, ils sont dans une merde noire.

« Je peux te proposer un lit et une douche, pour un jour ou deux.

– Mais y a mon pote…

– Je peux vous proposer deux lits et une douche.

– Ouais mais je veux pas vous gêner…

– Honnêtement ça me fait encore plus chier de te voir dans la rue. »

Son expression ne laisse aucun doute sur l’idée de pouvoir dormir sous un toit, mais ils ont déjà eu de mauvaises expériences semble-t-il sous-entendre, alors il va voir avec son pote quand ils se retrouveront. Je lui laisse un numéro où me rappeler. Je n’ai pas eu de nouvelle depuis. Peut-être ont-ils préféré ne pas faire confiance, peut-être n’ont-ils pas osé, peut-être un peu de tout ça. Peut-être aussi ont-ils eu une autre galère et n’ont pas pu me joindre. Je repasserai à l’occasion prendre des nouvelles.

Maxime est facile à trouver : il est toujours sur la rue d’Ivry, pas très loin de la rue Tolbiac. Il ne sait pas que j’ai écrit ceci, mais si vous pensez pouvoir l’aider, passez donc lui rendre visite. Ma conviction est qu’ils n’ont rien à faire là, croulant sous la fatigue et pourtant inactifs, quand ils devraient jouer un tout autre rôle dans la société. Mon impression est qu’il faudrait finalement assez peu de chose pour les sortir de là, mais que c’est absolument hors de portée sans une aide extérieure : un lit, un repas, un travail (à ce stade autant dire que même une très courte durée serait bien venue)…  Si vous avez cela, merci pour eux.

L'homme qui venait de partout

Pour mon deuxième passage à Hiroshima, deux ans après le premier, je suis retourné à ce café que la serveuse d’un restaurant avait eu la gentillesse de nous conseiller : le Café 44 (à prononcer en français).

Là, assis seul au bar, faute de place ailleurs en ce vendredi soir, je discute avec la serveuse du bar. Elle est déjà venue à Paris, il y a deux ans. Amusant comme coïncidence. Un client s’installe un peu à ma droite : un homme d’une quarantaine d’années, apparemment employé de bureau, peut-être avec des responsabilités, probablement père de famille. Il semble être un habitué des lieux et entame la discussion avec la serveuse et moi.

Je lui demande d’où il vient. C’est une question que je pose souvent aux japonais que je rencontre. « De Osaka. Mais j’ai habité à Tokyo. » À son tour il me demande par quelles villes je suis passé : Tokyo, Nagoya… « Ah, Nagoya, j’ai vécu à Nagoya aussi ! » « Mais vous avez vécu partout ! » « Oui, un peu. » concède-t-il avec un sourire.

Je lui demande alors, parmi ces villes, dans laquelle il a préféré vivre. La question m’est naturelle, pourtant il semble surpris. Elle le plonge dans une profonde réflexion, comme si on ne la lui avait jamais posée auparavant.

Après un temps il me répond : « Kobe ».