Encore d'autres fréquentations

Me sachant de retour du SIGGRAPH, qui se tenait début août à Vancouver, mon ami de maintenant longue date Frédéric me proposait de publier chez lui quelque chose sur le sujet. Frédéric tient depuis longtemps un blog dont la ligne directrice a évolué petit à petit au cours des années pour se concentrer maintenant sur l’expérience utilisateur et l’ergonomie en général, et qu’il a donc renommé relativement récemment Le Rayon UX. Ça fait trop longtemps que je n’ai rien rédigé et il faut reconnaître que ça fait du bien d’écrire de temps à autres.

Ça se passe ici : Shade me I’m hot, débauche graphique au SIGGRAPH 2011.

Une analyse de Mirror's Edge

Introduction

À l’occasion d’une promotion j’ai récemment acheté le jeu réalisé par DICE (studio suédois notamment connu pour la série des Battlefield) : Mirror’s Edge. Séduit dès le premier niveau, je l’avais recommandé à un groupe d’amis en détaillant plusieurs points qui m’avaient marqué. L’échange de mails ayant suivi avait permis de mettre le doigt sur d’autres qualités ainsi que sur des défauts. C’est ce que cet article présente.

Mirror’s Edge, j’en avais entendu parler quand il était sorti. Le character design, avec pour personnage principal une jeun femme de type eurasiatique portant des tatouages remarquablement obscurs, m’avait semblé commercial à souhaits et je n’avais pas tellement prêté attention au gameplay, le laissant au stade de pourquoi pas ». L’affiche du jeu ne m’avait d’ailleurs pas attiré, au contraire presque. Mais en voyant quelques vidéos plusieurs mois plus tard, quelque chose avait aussitôt retenu mon attention : l’atmosphère visuelle. Ces images m’ont rappelé ce que j’ai pu ressentir devant le paysage urbain en plein Tokyo : le soleil, les vitres et l’acier, les volumes, la sensation à la fois d’espace et d’horizon chargé, les grues, les câbles… Cela m’a donné l’envie de tester le jeu un jour. Ce que j’ai donc finalement pu faire récemment.

Le principe de Mirror’s Edge est le suivant : on contrôle un personnage en point de vue subjectif, un coursier clandestin dans une hypothétique ville sous régime autoritaire, et l’on doit jouer le yamakazi pour atteindre un point donné dans ce paysage urbain.

Sur l’aspect visuel

Le point qui me semble le plus remarquable dans ce jeu, et ce d’autant plus du fait de mon intérêt pour ce domaine, est son aspect visuel, qui est impressionnant. Pas tant au sens technique qu’aux sens esthétique et émotionnel. C’est soigné, les couleurs sont travaillées, les immeubles ont des tons dorés par la lumière, la ville est à perte de vue, les perspectives sont exploitées pour donner des impressions de vertige, les cascades sont épiques.

Il y a une foule de détails qui viennent rendre l’environnement très réaliste. Le ciel est d’un bleu profond de tempête de beau temps avec un horizon un peu chargé de cet air de ville, tandis que des vapeurs évanescentes, très crédibles, sont dégagées par certaines cheminées. L’on regarde vers le haut et l’on voit passer un avion de ligne laissant une traînée dans le ciel. L’on regarde en bas et l’on aperçoit des voitures et des piétons (ils ont du glissement dans l’animation de marche, mais ce n’est pas dramatique). Quelques rues plus loin un groupe d’oiseaux s’envole…

La séquence d’intro de l’histoire commence par un petit parcours depuis une hauteur, tandis que l’on voit des crédits alignés sur les bâtiments et rappelant fortement la demo de Farbrausch, fr-041 Debris. Et puis ça court le long de corniches, ça dévale d’improbables pentes, ça regarde en contrebas le trafic, ça saute pour atteindre une grue d’un bâtiment en face tandis que le thème musical démarre, parfaitement synchronisé avec la réception du saut…

L’image est prenante, c’est spectaculaire. C’est d’ailleurs l’un des points très positifs du jeu : être accueilli dès le début par une scène soignée de la sorte est vraiment appréciable. Symétriquement, la scène de fin du jeu est également très bien réalisée, quoiqu’usant un peu de facilité.

La couleur

Le jeu a une identité graphique forte avec une symbolique basée sur la couleur. Le décor est dans son ensemble atone : sol, mur, objets divers, et même plantes et arbres sont blancs. Ce blanc plâtreux épuré, tout en renvoyant à l’idée de perfection de la ville, renforce la sensation de beau temps (lorsqu’il fait beau et lumineux, on perçoit moins bien les couleurs en ville). C’est également un moyen de diminuer la charge visuelle, facilitant ainsi la compréhension de l’environnement.

Les lieux avec lesquels on est amené à interagir sont au contraire caractérisés par une couleur spécifique, appuyée et uniformément partagée par les éléments de l’endroit : murs, mobilier, moquette, drapeaux, stores… Les tons sont alors vifs et chatoyants, contrastant avec le blanc de craie de la ville : vert, bleu, orange, jaune, rouge… Je cherche encore à comprendre le sens des ces teintes. J’ai l’impression qu’elles sont simplement alternées, mais je ne serais pas surpris qu’il y ait une symbolique. Enfin pour ponctuer cette identité visuelle, le rouge est un indicateur du chemin à suivre : une porte à ouvrir, une rampe depuis laquelle sauter, une barre à laquelle s’accrocher, une caisse sur laquelle prendre appui… Un élément neutre devient rouge lorsque l’on s’en approche. Ce côté dynamique peut donner une impression de guidage appuyé. Cependant ces indicateurs ne sont que des indices et il y a la plupart du temps des chemins différents qui restent possibles. Si tout ce qui peut être utilisé avait été statiquement en rouge, la surcharge visuelle aurait vraisemblablement rendu la chose sans intérêt. Au final je pense que le compromis est correct.

À noter que l’objectif final est souvent rouge également. Cette couleur a donc une certaine signification, qui va au delà du simple indice. Il y a d’ailleurs une référence dans l’un des messages de propagande sécuritaire de l’univers du jeu, expliquant que les coursiers ont une préférence pour cette couleur.

Au final cette ambiance visuelle est faite de décors blancs ponctués d’éléments vifs, baignant dans la lumière sous un grand Soleil : c’est rafraichissant, personnellement j’aime beaucoup. Tous ces jeux qui se déroulent dans le noir me soûlent. Là il fait beau, le ciel est magnifique, les couleurs sont marquées… C’est vraiment chouette.

La lumière

La lumière est quant à elle très belle. Comme je le disais, les immeubles ont vraiment l’air d’être éclairés par le Soleil. Mais ça va plus loin que ça : d’une façon générale, les shaders sont d’une très grande qualité, le décor bénéficie de la touche irremplaçable d’une illumination globale, et les techniques de rendu sont maîtrisées et très bien dosées. Les tours ont l’air de tours, les canalisations ont l’air de canalisations, les parpaings peints grossièrement ont l’air de parpaings peints grossièrement, le sol en béton a l’air de sol en béton…

Certains bâtiments ont des échafaudages (classique) dont certains avec des bâches… qui ondulent avec le vent ! Bon, ce n’est qu’une animation de la texture de normal map, mais c’est vraiment bien fait : ça rend parfaitement la bâche et son reflet changeant au rythme du vent (je soupçonnais qu’en activant PhysX c’était le genre de détail qui devenait encore plus réaliste : on m’a confirmé que les bâches se déchiquetaient même avec les tirs, mais je n’ai malheureusement pas encore eu l’occasion de le voir, faute de matériel compatible).

Bref, c’est vraiment du beau boulot.

Par contre la lumière, c’est du HDR (High Dynamic Range). Avec les avantages et les inconvénients que ça implique. C’est mieux fait dans l’ensemble que dans Half-Life 2, où ça avait tendance à saturer les couleurs et à rendre moins joli (je trouve), et ça rend bien l’impression d’extérieur très lumineux. On regarde une façade éclairée en sortant d’une zone un peu ombrée : c’est tout blanc et ça se précise petit à petit. On retourne à l’ombre : on y voit mais c’est très sombre, et puis ça s’adapte. Le souci est que parfois c’est trop lent, ce qui peut poser un problème notamment dans les courses contre la montre. Le reste du temps ce n’est pas trop gênant (à noter que le HDR se règle mal au respawn).

L’étendue du terrain

Les niveaux sont plutôt grands et on a au premier abord une impression de liberté, même si on comprend vite quelles sont les limites. Inutile d’espérer trouver un chemin pour descendre depuis le vingtième étage jusque dans la rue si le niveau est censé se passer sur les toits. D’un bâtiment, on ne verra donc que le toit ou quelques étages, et on joue généralement entre une demi douzaine de bâtiments tout au plus, mais on garde l’impression d’être dans une ville, et une grande, pas un bout de terrain dans une skybox. La qualité des textures sur les bâtiments auxquels on n’a pas accès se dégrade rapidement avec la distance, mais ça passe étonnamment bien.

L’écran d’accueil du jeu montre une grande métropole développée autour d’une baie, dans un rendu complètement épuré : formes relativement basiques, pas de texturage albédo, juste un bel éclairage global, ce qui là aussi ça rend très bien d’ailleurs. Si chaque niveau est une zone bien délimitée, manifestement ils ont poussé le vice jusqu’à imaginer vraiment cette ville complète et situer ces niveaux en des points de cette ville, ou prend alors place l’action.

La vue subjective

L’image est en vue subjective et contrairement à Half-Life on voit son propre corps : bras, mais aussi jambes. En voyant les vidéos, je craignais que cela ne passe pas. En pratique c’est très bien fait : on a vraiment l’impression que c’est soi. Plus remarquable, le jeu arrive très bien à nous faire prendre conscience de notre posture complète à tout instant. En cela il est particulièrement immersif.

Le personnage fait aussi parfois certains mouvements qui peuvent manquer de naturel, et qui servent à mon avis à donner un feedback, comme placer la main sur le mur dès que l’on en est suffisamment près. Au final cela renforce la compréhension que l’on a de sa situation.

Comme on voit ses propres pieds, il est tentant de se demander ce que ça donne en tournant sur place, simplement en regardant dans différentes directions. J’ai testé : ça ne glisse pas, elle (oui elle : notre personnage est une fille) replace ses pieds de façon assez correcte, même si on peut facilement lui faire placer un pied dans le vide.

Le côté immersif est poussé au niveau des mouvements de la tête également, lorsque l’on court ou pendant une roulade. Un bon compromis semble avoir été trouvé, alliant un certain réalisme, une augmentation de la prise de conscience de sa propre posture et l’absence de gêne visuelle entraînée par ces mouvements.

Le flou

Deux types de flou viennent achever le rendu : un flou de mouvement et un flou de profondeur de champ. Lorsque l’on court ou pendant les sauts, un léger effet de flou directionnel vient discrètement rendre les bords moins nets. Il n’est pas d’une grande qualité, puisque l’on peut distinguer sur une capture les différentes images qui le composent, mais ça pas un problème pendant le jeu. L’augmentation d’impression de vitesse est sensible et l’effet n’est pas intrusif.

Il y a donc d’autre part un flou de profondeur de champ qui s’adapte à ce que l’on voit. Je suppose que du point de vue du gameplay ça permet de ne pas surcharger le joueur d’informations, mais d’une part il n’est pas très joli (le flou est propre mais la transition net/flou est un peu cheap), et d’autre part je trouve la mise au point trop lente. Bon ça reste un problème esthétique : jusqu’ici ça ne m’a pas gêné. Mais il faut avouer que quand on grimpe une gouttière et qu’on ne voit pas au delà de 2m, c’est moche.

Les personnages

Malgré un niveau de détail élevé, les personnages sont assez laids et rendent moins bien que dans Half-Life 2, jeu pourtant plus ancien d’une génération et dont les modèles sont nettement moins détaillés. Mal coupés, des cheveux en plâtre, des ombres faisant tendre les couleurs vers des teintes peu naturelles, des limites entre meshes bien nettes et d’autant plus visibles que le texturage est insuffisant… C’est dommage, surtout que ça ne donne pas l’impression qu’ils ne pouvaient pas faire autrement. D’ailleurs, alors que visuellement l’ensemble est plutôt d’une grande qualité, on remarque que les textures pêchent par endroits. Il est possible aussi que ce soit en partie dû à ma carte graphique, mais un jeu devrait être beau même s’il ne dispose pas du meilleur matériel.

Le scénario

Les différents épisodes de l’histoire sont ponctués de cinématiques assez sympa. Alors que le jeu est plutôt dans le réalisme, en utilisant une symbolique bien intégrée, les séquences sont dans un style dessin animé, qui rappelle fortement Another World ou Flash Back. C’est inattendu mais bienvenu.

Malheureusement le scénario est à mon avis un des points faibles du jeu. Il y a certes une trame, mais la construction reste assez classique. C’est du scénario linéaire de jeu vidéo, dans lequel on ne se sent pas du tout impliqué : des séquences cinématiques, des révélations… et maintenant ? Maintenant tu cours.

La possibilité de faire des choix comme dans Deus Ex aurait pu être intéressante : aussi bien des choix de stratégie d’approche discrètement par le conduit d’aération, ou spectaculairement en traversant la baie vitrée), que des choix de scénario (deux objectifs, un seul réalisable). Cela dit la décision de ne pas donner cette dimension au jeu se justifie tout à fait.

Le jeu tente également de donner de la profondeur à son univers en disséminant des éléments de scénario et de contexte dans le décor, comme l’ont fait d’autres jeux. C’est limité le plus souvent à une affiche dans un ascenseur. Je trouve cela moyennement réussi : le résultat est un peu surfait.

Enfin, le bât blesse sur l’histoire même, qui nous amène à tuer des flics alors que l’on cherche à innocenter sa sœur accusée de meurtre. Cherchez l’erreur…

Le gameplay

Au premier abord le gameplay me semble plutôt bien réglé, avec une impression qu’il suffit d’appuyer sur la touche à tout faire et le jeu va comprendre selon la situation. Par contre il souffre d’une trop grande exigence au niveau de la synchronisation, un point sur lequel je vais revenir plus en détail.

Duck Hunt

Le principe du jeu est finalement un peu du genre Prince of Persia, mais en première personne et avec de la pression. Dans le vieux Prince of Persia, on avait une heure pour tout finir, mais une certaine tranquillité. Ici on est poursuivi par des flics qui tirent à vue, du coup on cavale en cherchant du regard sur quelle caisse on va pourvoir grimper. Côté cent à l’heure, c’est très réussi.

Pourtant ça reste surtout du cirque : on se fait canarder par une mitrailleuse à bord d’un hélicoptère sans se faire toucher ou presque. Par moments on sent même que l’on pourrait rester et faire une pause derrière un bloc de clim pendant que l’hélico s’excite. Les ennemis piétons sont plus agressifs : ils suivent tant qu’ils sont dans leur graphe. :) Pour se défendre on peut les fuir, les désarmer, les frapper, les pousser dans le vide quand la situation le permet ou les tuer avec des armes récupérées (ce n’est cependant pas un FPS à la Quake : le nombre de munitions n’est pas indiqué, et au bout d’un moment le flingue est vide et est jeté de côté).

C’est donc surtout une question d’ambiance : ça siffle, il y a des impacts, les carreaux volent… Parfois d’ailleurs les tirs guident en explosant une fenêtre, montrant la direction à prendre. Souvent on ne voit pas d’où viennent ces tirs et on se demande qui arrive à tirer jusque là, mais le jeu arrive très bien à ne pas donner envie de s’arrêter pour en avoir le cœur net. Malheureusement à force de se faire systématiquement tirer dessus à tous bouts de champ, il faut reconnaître c’est un peu lourd. Heureusement quand on se fait toucher, l’écran ne bouge pas trop, les couleurs sont juste désaturées. On n’a d’ailleurs pas de barre de vie : on se prend des balles, mais tant que c’est raisonnable :-) on n’y laisse pas sa peau.

Quelque chose que je trouve également dommage dans ce choix, c’est qu’alors que les décors sont magnifiques, on n’a pas le temps d’en profiter. Les game designers voulaient vraiment que l’on passe son temps à courir, éviter les tirs, dévaler les toits, enfoncer les portes (ces passages rendent très très bien d’ailleurs : on enfonce une porte, on court dans les corridors sans être sûr d’où on va… visuellement ça fait un peu film dont vous êtes le héros)… Or j’aurais bien aimé des passages plus calmes, plus graphiques, comme devoir faire une longue corniche et escalader tranquillement un truc pour faire une pause et apprécier le soin apporté à la ville.

Les poursuites

Une question qui m’a été posée par un ami était de savoir si le jeu présentait des scènes de poursuites, un classique dans les jeux que l’on pourrait qualifier « de franchissement ». Ce type d’épisode est en général efficace pour mettre de la pression, sans pour autant être pénible comme lorsqu’on se fait tirer dessus.

Il y a une première scène où l’on doit courir après un personnage en fuite. Malheureusement la qualité de la scène est gâchée par le fait qu’il attend lorsque l’on est en retard, faisant des signes de provocation pour que l’on voie bien par où il est passé.

Je crois qu’ils auraient pu le laisser courir au contraire et faire perdre quand on est trop distancé. Ça aurait posé le problème de l’apprentissage par cœur du parcours, mais ça aurait aussi été une excellente occasion de générer un chemin différent à chaque fois.

Il y a plus tard plusieurs scènes où interviennent des méchants capables de nous suivre, et l’on est alors obligé de fuir, seul contre plusieurs. Courant droit devant sans se retourner, il ne reste que les bruits pour évaluer à quel point on est talonné, ce qui est particulièrement immersif. Malheureusement si l’on est rattrapé, le résultat est décevant : on se prend des coups sans réel autre effet que de simplement perturber la progression. Il aurait peut-être mieux valu considérer qu’une fois rattrapé l’on était pris.

Die and retry

Un aspect particulièrement frustrant, et même pénible, de ce jeu est son aspect très « die & retry ». On meurt une fois, deux fois, trois fois, dix fois au même endroit, et puis ça passe. Je trouve que c’est un moyen très artificiel d’augmenter la durée de vie du jeu, puisque l’essentiel consiste alors à faire la même chute de dix étages ou se faire tuer par le même groupe de méchants encore et encore.

Il y a essentiellement trois raisons à ces morts à répétition :

  • Les acrobaties sont difficile à réaliser, notamment pour des raisons de timing. Je pense en particulier à une qui consiste à sauter contre un mur pour prendre appui et sauter dans la direction opposée : espace, A, espace… le timing est précis et j’échoue régulièrement la manœuvre ; de même il arrive fréquemment que sur un saut difficile, alors que j’ai l’impression de réaliser la même performance, d’obtenir des résultats très différents, depuis la chute comme une pierre, à l’arrivée confortable, en passant par le rattrapage du bout des doigts. Mon impression est que le problème vient du fait qu’un certain nombre de mouvements doivent se faire à des positions ou instants précis, alors que le champ visuel rend difficile l’appréciation.
  • On ne sait pas ce que l’on peut faire : dans Prince of Persia, premier du nom, on savait précisément ce que l’on pouvait atteindre et ce que l’on ne pouvait pas, et dans quelles conditions (saut arrêté, saut avec de l’élan, arrivée sur les pieds, arrivée accroché…). Ici on ne connaît pas les caractéristiques du personnage, qui de plus sont relativement hors normes. Par exemple on peut courir sur un mur mais sur une distance limitée. Moi je ne sais pas courir sur un mur en vrai, donc ma distance c’est zéro. Le personnage, j’ai réussi à lui faire enjamber des distances de plus de cinq mètres. Alors je ne sais jamais si ça va passer. Pire : je n’ai parfois même pas le réflexe. J’ai eu le même problème sur certains passages où des sauts à faire me semblaient irréalistes.
  • les combats sont difficiles, ce qui, dans la mesure où l’on sent très nettement que ce n’est pas le but du jeu, ne serait pas un problème s’il n’y avait pas des passages où l’on n’a pas le choix.

Il pourrait être tentant d’interpréter ces remarques par « le jeu est trop dur » et croire que la solution serait de le travestir en supprimant toute difficulté. Or ce n’est pas mon propos. Je n’ai rien contre les jeux allant loin dans la difficulté, au contraire même. Mais avoir un niveau élevé ne signifie pas avoir l’impression que le game designer a décidé : « ici, le joueur meurt ».

On peut ajouter que du point de vue de l’évaluation des obstacles, il manque à ce jeu un exercice visant à montrer au joueur ses limites, ou éventuellement un feedback visuel lui permettant de savoir si une acrobatie est faisable.

L’IA

L’IA est dans l’ensemble très simple, et navigue manifestement entre des waypoints. Il est facile de lui faire faire demi tour par exemple. C’est très suffisant la plupart du temps, mais ça montre ses limites dans certaines scènes.

L’action de viser semble reposer sur une astuce : les méchants nous visent en permanence à partir du moment où ils sont en mode méchant, et tirent lorsqu’on voit leur arme. Ça ne veut pas dire que si on tourne le dos à un ennemi il ne nous voit plus. Ça veut dire que si l’on voit ses jambes mais pas son buste à cause d’un obstacle et que, étant toujours tourné vers nous, il voit donc aussi nos jambes, il ne nous allume pas.

Mais si on se recule suffisamment pour voir son arme, il tire. C’est cheap quand on s’en rend compte, mais c’est astucieux du point de vue du calcul de vision des IA qui n’est plus à faire. Je suppose que ça a dû beaucoup simplifier.

Le son

Le son et la musique sont des aspects que connais peu, aussi je ne vais pas m’attarder, pour simplement me contenter de constater que l’ambiance sonore est crédible et vient parfaire l’ambiance visuelle, tandis que la musique est plutôt agréable.

À noter que le thème musical du jeu s’appelle Still Alive, mais n’a n’a strictement rien à voir avec un célèbre thème éponyme. ;-)

Conclusions

Pour sûr ce jeu est beau : en plus d’être réaliste et esthétique, il a une identité visuelle forte qui fait son charme. Il n’exploite malheureusement pas suffisamment son énorme avantage visuel.

Le principe est intéressant sans être extrêmement novateur. De nombreuses pistes peuvent encore être explorées, comme par exemple des niveaux de type labyrinthe, des niveaux que l’on revisite et qui ont sensiblement changé (plus d’échafaudage, nouvelle clôture, etc.), et plus généralement des niveaux dynamiques (objectif différent à chaque fois).

Le gameplay fonctionne bien et la difficulté semble correctement dosée, même si l’aspect die & retry est décevant. Enfin la trame de fond est assez quelconque et peu immersive, ce qui est dommage.

C’est donc un très bon jeu, dont quelques points sont améliorables, et que je recommande néanmoins chaudement.

Merci à Antoine et Jean pour la discussion pertinente à l’origine de cet article, qui est de loin le plus long que j’ai rédigé jusqu’à présent.

Quel futur en imagerie numérique – Vers un nouveau portrait

Canon a dévoilé récemment son dernier appareil photo reflex d’entrée de gamme, le EOS 550D (connu également sous les noms de Rebel T2i ou Kiss X4 selon le marché). La particularité de cet appareil, sa « killer-feature » : la vidéo HD. Cette nouveauté marque pour moi une étape dans l’évolution de la photographie, vers ce qu’elle va d’après moi devenir dans un avenir proche.

Tout d’abord en quoi cette fonctionnalité est-elle remarquable ? De la vidéo, même des téléphones portables peuvent en prendre, diront certains. Certes, mais pas de cette trempe : ici il ne s’agit pas de qualité webcam. Il s’agit de vidéo HD, à une résolution relativement élevée donc (« relativement », car on est dans l’ordre de grandeur de la télévision HD, ce qui est donc élevé pour de la vidéo, mais très en deçà de résolutions classiques en photo) et à une fréquence décente. Ensuite il s’agit d’un appareil reflex, autrement dit d’un véritable appareil photo sur lequel on peut mettre une optique de son choix et qui, s’il reste d’entrée de gamme, permet d’obtenir de superbes images. Enfin, justement, c’est un appareil d’entrée de gamme. Jusque là pour pouvoir prendre de telles vidéos, il fallait investir dans un appareil de haut de gamme, tel qu’un Canon 5D ou 7D ou un Panasonic GH1, à 1300€ au bas mot. Avec le 550D, on passe franchement sous la barre des 1000€, ce qui reste cher mais est abordable.

Ensuite, en quoi cette fonctionnalité est elle bien plus qu’une simple surenchère technologique, ou un gadget pour acheteurs du dimanche qui ne savent pas s’ils préfèrent s’offrir un caméscope ou un appareil photo numérique ? Encore une fois, il s’agit d’un appareil photo reflex, et donc avant tout d’un appareil photo. La qualité des images n’a rien à voir avec celles d’un caméscope. Il ne s’agit pas pour autant d’un « meilleur caméscope » car l’usage non plus n’est pas le même. C’est un point important : l’approche de ce mode vidéo reste photographique. On ne filme pas : on photographie… mais de la vidéo. Je vous propose pour illustrer cela cet exemple splendide, réalisé par un professionnel avec un 5D Mark 2 (je vous invite à voir cela en grand, pour apprécier pleinement). Regardez, je vous attends, je vous retrouve dans un peu plus de trois minutes dans le paragraphe d’après .

Egypt / Lebanon Montage from Khalid Mohtaseb on Vimeo.

Depuis quelques mois, depuis la possibilité de filmer avec des appareils photo reflex, ce genre de vidéos fleurissent sur Internet. Celle-ci est sans conteste magnifique ; les années d’expérience et la qualité du matériel parlent. Mais notez la façon d’aborder de l’image : n’est-elle pas plus proche de la photo que de la vidéo ? Faites une pause à la 42ème seconde : ne voyez vous pas un portrait, avec le cadrage, le piqué et le bokeh caractéristiques ? Regardez ce passage en lecture cette fois : n’est-ce toujours pas un portrait, qui est tout simplement animé ?

L’évolution technologique étant ce qu’elle est, cette fonctionnalité va petit à petit s’étendre jusqu’à devenir disponible même sur les compacts bon marché. Elle viendra remplacer le mode vidéo qu’ils avaient déjà, et bientôt, n’importe qui pourra prendre des vidéos de qualité, qui ressembleront à des photos.

Et pour finir que va-t-on faire de ces vidéos ? C’est là tout l’objet de ce billet : ces vidéos vont d’après moi devenir une nouvelle évolution de la photo. Tout comme le numérique est venu compléter l’argentique, la photo animée — c’est ainsi que je choisis de l’appeler en attendant de voir un terme s’imposer — va venir compléter la photo statique. Ainsi, vous n’aurez plus seulement sur votre commode le portrait de votre parent, ami, enfant, compagne ou compagnon figé dans le temps, mais le portrait de la personne esquissant un sourire, clignant des yeux, avec une mèche de cheveux bougeant au gré du vent le temps de la pose. Des photos plus vivantes, plus immersives, plus dures à voir aussi en période de deuil. Cela va changer notre façon de penser le portrait : après un siècle d’évolution depuis l’évènement (Marcel Pagnol raconte dans La Gloire de mon père comme les photos étaient réservées aux grandes occasions) vers une photo prise de plus en plus sur le vif, le portrait pris posément va connaître un renouveau. On ne prendra plus une image d’un instant mais d’un moment.

Cette évolution donne à mon avis tout leur sens aux tableaux photos LCD actuels. Une technologie encore bien pauvre aujourd’hui (pouvoir afficher quelques photos avec un affichage de mauvaise qualité plutôt qu’une photo imprimée me semble un compromis fort peu intéressant) mais qui va s’améliorer en terme de qualité, et évoluer pour pouvoir afficher de telles photos animées. Avoir un portrait animé sur son bureau me semble raisonnable d’ici cinq ans. Parallèlement, les résolutions vont augmenter, la HD d’aujourd’hui sera la VHS de demain, et ces vidéos vont petit à petit atteindre une qualité qui n’est aujourd’hui concevable que pour de la photo pure. Plus loin dans l’avenir, le papier électronique qui en est quant à lui à ses balbutiements aujourd’hui va vraisemblablement gagner en profondeur de couleurs et en vitesse de rafraîchissement jusqu’à pouvoir afficher de telles photos animées avec un rendu digne de photos imprimées.

Et vous, est-ce que vous ne voudriez pas voir encadrées des photos animées des personnes que vous aimez ? Ce portrait ne serait-il pas encore plus fort animé ?

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Photo de Éole.

Quel futur en imagerie numérique – Un spectre affichable plus large

Depuis l’apparition des premiers affichages couleurs et jusqu’à aujourd’hui, les écrans reposent sur la nature de l’œil humain, et représentent les couleurs dans l’espace RVB (rouge, vert, bleu). L’objet de ce billet est de s’interroger sur la validité de ce choix, et de manifester une certaine impatience envers une nouvelle technologie en la matière.

Sans aller plus loin que quelques considérations superficielles, rappelons que la rétine, le capteur au fond de l’œil, est composée de bâtonnets, qui sont sensibles à la luminosité, et de trois types de cônes, respectivement sensibles à trois plages de fréquences grossièrement centrées sur le rouge, le vert et le bleu. C’est la raison pour laquelle les affichages utilisent les couleurs rouge, vert et bleu : c’est la synthèse additive.

Planche n°19 du test du Docteur Shinobu Ishihara
Pourtant tout le monde n’est pas nécessairement sensible à ces trois couleurs. L’exemple le plus commun est le daltonisme : certaines personnes n’ont que deux, voire un seul type de cône, ce qui explique le fait qu’elles sont incapables de distinguer certaines couleurs. La forme la plus commune de daltonisme (la deutéranopie : l’absence de cône sensible au vert) est ainsi de percevoir indistinctement le rouge et le vert.

Mais alors, inversement, les personnes non daltoniennes ne sont-elles pas finalement daltoniennes dans une certaines mesures elles aussi ? N’y a-t-il pas des couleurs que mêmes les gens avec une vision considérée comme normale ne peuvent distinguer ? Je n’entends pas par là notre capacité à ne percevoir que le spectre dit visible, où à nécessiter un minimum d’écart entre deux teintes pour pouvoir les différencier. Mais par exemple, lorsqu’un écran affiche du vert et du rouge simultanément, on perçoit du jaune. Mais est-ce du jaune pour autant ? Non. Pour s’en convaincre, testons : observons son spectre lumineux. Pour cela, voici donc l’image présentée dans le précédent billet, représentant différentes franges de couleurs.

Franges de couleur

Le but est donc de constater la contribution de chaque frange dans les différentes fréquences du spectre visible, qui rappelons-le ressemble à ceci.

Spectre de la lumière visible

Notez comme toutes les couleurs des franges sont présentes dans ce spectre. Idéalement, une frange devrait donc avoir une forte intensité à la fréquence correspondant à sa couleur, indépendamment d’une éventuelle intensité sur d’autres fréquences.

Avec l’aide d’un CD, ou de tout autre objet capable de diffracter la lumière, observons donc le spectre des différentes raies. Les photos qui suivent présentent plusieurs problèmes, qu’il convient de prendre en compte. L’écran de test tout d’abord est un cathodique (je referai peut-être un test avec un LCD si l’occasion se présente), dont le calibrage est probablement discutable. La balance des blancs de la prise de vue n’est quant à elle pas terrible, d’où un jaune qui semble tirer sur le vert. Enfin il faut remarquer que les franges ont une certaine largeur (il fallait pouvoir les photographier), ce qui entraîne un spectre moins précis (les décompositions sur la largeur d’une frange se chevauchent un peu). Ces remarques préalables étant faites, voici le résultat.

Frange blanche

Frange rouge

Frange jaune

Frange verte

Frange cyan

Frange bleue

Frange magenta

Prenons le cas de la frange jaune : l’écran est sensé afficher une raie de jaune. Pourtant sur le spectre on observe du vert et du rouge, et un peu de bleu (dû à la luminosité de l’écran, qui a tendance à blanchir les couleurs), mais en tout cas pas de jaune. Ce n’est pas du jaune. c’est seulement une couleur que l’on perçoit comme jaune. Enfonçons bien le clou : un écran ne peut pas afficher de jaune, pas plus qu’il ne peut afficher du cyan, du magenta, ou du blanc (le spectre devrait alors ressembler à celui indiqué plus haut). Cependant si l’on mettait du véritable jaune à côté on ne verrait pas la différence, car faute d’être sensible à cette couleur nos yeux réagissent de la même façon à ces deux couleurs.

Du moins, la majorité des gens ne verraient pas la différence. Car il existe également le contraire du daltonisme : des personnes ne possédant pas trois, mais quatre types de cônes différents (des quadrichromates ; il existerait mêmes des pentachromates), le quatrième étant sensible au jaune justement. Les personnes dans ce cas doivent donc percevoir la différence entre du jaune et un mélange de vert et de rouge aussi nettement que je perçois la différence entre du vert et du rouge. N’en connaissant pas personnellement (et je serais très intéressé par le témoignage de quelqu’un ayant cette expérience), je n’ai pas de témoignage le confirmant, mais j’ai la conviction que pour elles les écrans doivent sembler bien peu fidèles…

Notez d’ailleurs que même pour les personnes ayant une vue classique à trois types de cônes, la synthèse additive ne constitue pas une approximation suffisante. En effet, il existe des couleurs que la plupart des gens savent distinguer et que les écrans sont parfaitement incapables d’afficher. Vous n’êtes pas convaincu ? Vous voulez un exemple ? Essayez d’afficher du orange fluo pour voir.

Alors ma question est : quand aura-t-on des affichages qui ne soient plus basés sur cette astuce médiocre de la synthèse additive, mais qui soient véritablement capables d’émettre n’importe quelles fréquences (notez le pluriel) du spectre visible ? Dans un premier temps, l’amélioration peut passer par l’utilisation d’un plus grand nombre de couleurs primaires (voir ma note ci-après). Mais au delà, on peut imaginer la mise au point d’un matériau dont les caractéristiques chromatiques pourraient être contrôlées par excitation par un courant. On pourrait alors envoyer des signaux correspondant au spectre souhaité et obtenir la couleur correspondante, de la même façon qu’en envoyant à un haut-parleur un signal, on obtient un son ayant pour spectre le spectre de ce signal (avec plus ou moins de fidélité bien sûr).

La publication de ce billet a été pas mal retardée par la démonstration du spectre de l’écran, que je n’avais ni le temps ni l’occasion de réaliser (d’ailleurs un grand merci Boris pour le coup de main lors de la séance photo). Or entre temps j’apprenais par le site Akihabara News que Sharp travaille sur la construction d’un écran LCD avec cinq couleurs primaires. Cela me conforte donc dans la conviction que l’amélioration radicale du spectre des écrans est l’une des évolutions proches de l’imagerie numérique.

Beam

Article « Rouge vert bleu » sur Wikipédia

Cours « La vision des couleurs »

Article « Daltonisme » sur Wikipédia

Un dispositif de test simple pour observer le spectre d'un écran

Cette image qui pique les yeux est l’un des éléments d’une petite expérience liée à un prochain article. Elle va me servir à observer le spectre de la lumière émise par un écran selon la couleur affichée.

Bien que cela ne transparaisse pas tellement dans ce blog, un de mes sujets d’intérêts majeurs est la 3D, et plus généralement l’imagerie numérique. Si je n’ai ni la connaissance ni l’expérience suffisantes pour traiter avec régularité et aplomb du sujet, j’ai néanmoins quelques idées sur son devenir. Aussi je vais tâcher de publier quelques articles sur le thème : « Quel futur en imagerie numérique ». Plusieurs sont déjà en cours, dont certains pratiquement terminés.

L’un d’entre eux, qui devrait être le premier à être publié, concerne le spectre des écrans actuels et leurs lacunes. Afin de soutenir mon propos, j’ai besoin d’un dispositif simple permettant de mettre en évidence le spectre d’un écran. N’étant pas dans un laboratoire d’optique, je ne dispose bien évidemment pas d’un appareil permettant une quelconque mesure. De plus, je préfère une méthode simple, éventuellement grossière mais néanmoins rigoureuse, que n’importe quel lecteur peut reproduire.

Observer le spectre d’une source de lumière ? Un prisme bien sûr, répond-t-on automatiquement. Mais qui possède un prisme ? En avez-vous ne serait-ce que déjà eu un entre les mains ? Moi non, ou peut-être une fois, dans un lointain cours de physique au lycée. Il va donc falloir trouver autre chose de plus commun. Alors que je faisais le tour de ce qui pouvait faire l’affaire, mon attention s’est arrêtée sur… un CD traînant sur mon bureau (sourire bête et bienheureux de celui qui vient de trouver une solution simple et inattendue à son problème). Tout le monde possède au moins un CD. :-) Un rapide test réalisé immédiatement après s’est avéré concluant.

Ça fait un peu solution bricolage, mais après tout les expériences d’Augustin Fresnel (dont j’ai déjà parlé) étaient autrement plus rudimentaires, et lui ont pourtant permis d’obtenir des résultats qui feront trembler la communauté scientifique. Et par « rudiementaires », il faut comprendre qu’il faisait des mesures sur des rayons de lumière éclairant des fils de fer en traversant des gouttes de miel, faute de lentille !

À venir donc, une petite réflexion sur la technologie actuellement utilisée pour les affichages, dès que j’aurai pu tester et photographier le bricolage expérimental dont il est question.