L'entrée des seigneurs

Tout d’abord ceux sont les autres qui arrivent, prenant place calmement tandis que le brouaha informe laisse place à des applaudissements formels. Puis c’est au tour de ceux du fond, arrivant simultanément des deux côtés pour s’aligner à l’arrière, dominant alors l’ensemble.

Ce n’est qu’une fois que tous sont installés qu’ils arrivent, en dernier, en même temps que lui. Ce seul détail montre déjà leur importance. Ils sont quatre, deux hommes et deux femmes, la démarche posée. Il se dégage d’eux à la fois calme, détermination, et fierté. Ils sont les seigneurs.

Une fois que lui a pris place à son poste de commandement, le silence se fait. Il salue l’assemblée, puis les salue eux, qui le saluent à leur tour. Tous vont pouvoir commencer.

Ils resteront pourtant assis, immobiles et attentifs, pendant presque tout la durée, alors que le monde s’active avec frénésie autour d’eux au rythme de l’œuvre.

Puis viendra leur tour, au quatrième mouvement. Ils se lèvent lorsque vient leur moment d’intervenir, et montrent alors le caractère qui les rend si particuliers. Leur voix tonne l’hymne à la joie, couvrant l’audience d’harmoniques prodigieuses qui donnent peine à croire qu’un humain puisse faire cela. C’est pourtant ce qu’ils font.

C’est la 9ème symphonie de Beethoven.

Si demain je mourais, mes amis sur Internet le sauraient-ils ?

Vous êtes vous déjà demandé ce qu’il adviendrait de votre identité sur Internet si vous veniez à mourir ? Vos contacts sur Internet seraient-ils seulement au courant ? C’est une question que je me suis posée plusieurs fois, à mesure que le nombre de mes cyber-connaissances augmentait. J’ai un jour eu un début de réponse.

C’est bête à dire, mais on peut mourir du jour au lendemain, quelque soit l’âge, et de façon aussi violente qu’inattendue. L’association dont je fais partie organise un concours d’informatique. Chaque année nous envoyons un courrier aux anciens candidats encore en âge de participer pour leur proposer de retenter l’expérience. Une année l’une des lettres nous est revenue, avec au dos quelques mots de la mère du candidat, nous expliquant que celui-ci avait été tué, renversé par une voiture. Ça fait un choc, on ne s’y attend pas, surtout quand la limite d’âge est de vingt ans. Quelqu’un de moins de vingt ans, ça ne meurt pas, enfin seulement statistiquement. En fait si.

Et sans ce courrier, on ne l’aurait jamais su. Si on n’avait pas rencontré cette personne, si on n’avait pas eu ses coordonnées postales, et que l’on s’était contentés de la contacter par mail, autrement dit, si on ne l’avait connue que par Internet : aurait-on appris la nouvelle ? Il me semble probable que l’on n’aurait jamais eu de réponse, et pensé que la personne n’utilisait plus cette adresse, ou qu’elle n’avait pas l’intention de répondre. Elle aurait simplement disparu de notre paysage de connaissances sans laisser de trace, et certainement pas de deuil.

Alors que se passerait-il dans le cas d’un contact régulier, un ami ou une relation de travail, sur un réseau social, sur messagerie instantanée, sur IRC, ou sur une mailing-list ? Parmi mes contacts réguliers sur Internet, il y a les personnes que je côtoie dans la vie de tous les jours bien sûr, mais aussi des personnes que je ne vois plus car elles ont déménagé, voire se sont installées dans un autre pays. Cela dit ces personnes sont en contact avec des amis communs, aussi elles seraient probablement rapidement informées si quelque chose m’arrivait. Mais il y a également des personnes auxquelles j’attache de l’importance et que je n’ai pour autant jamais rencontrées, ou même qui habitent dans des pays où je n’ai jamais seulement mis les pieds. Il y a également des personnes que j’ai rencontrées, des amis mêmes, mais avec qui mon seul contact du fait de la distance et du décalage horaire est Internet.

Toutes ces personnes ne me voient qu’à travers mes mails, mon site, mon blog, mes photos… Bref par mon activité sur le net. Si tout à coup une telle personne ne donne plus de nouvelles : on se dit que ses horaires où ses habitudes ont changé, que sa charge de travail a augmenté, ou tout simplement qu’elle ne souhaite plus nous parler. On y accordera une importance pouvant aller d’un extrême, à l’autre. Selon les rapports avec cette personne. (^&

Ce smiley que je viens d’utiliser, je le l’aimais beaucoup. Un côté espiègle et original. Je ne l’ai jamais vu que sur les mailing-list de OpenGLUT et FreeGLUT (deux projets libres visant à remplacer GLUT, une bibliothèque propriétaire plus du tout maintenue). En fait, il n’y avait qu’une seule personne utilisant ce smiley, et le voir suffisait à identifier l’auteur du mail comme une marque caractéristique. Sur une telle mailing-list, les gens vont et viennent : il y a les mainteneurs, qui sont plus ou moins actifs par période selon leurs disponibilités, et les utilisateurs parmi lesquels on distingue les habitués de ceux qui passent sans jamais revenir. Alors lorsque quelqu’un ne poste plus, cela n’a rien de surprenant, et on le remarque ou pas. En ce qui me concerne, j’ai remarqué lorsque les smilies ne sont plus apparus. Je ne m’en suis pas inquiété, mais je l’ai remarqué. Son auteur devait être occupé, peut-être même au point de ne plus du tout pouvoir s’impliquer dans ces projets.

Et puis un jour, plus d’un an après. le responsable du projet a posté un mail, dans lequel les citations permettaient de voir le cheminement de l’information, depuis la mailing-list de NetBSD à celle de OpenGLUT puis de FreeGLUT. Avec dix mois de retard, on venait d’apprendre qu’il était décédé, tué par un chauffard ivre alors qu’il était en vélo.

Il s’appelait Richard Rauch, et était un contributeur important du projet NetBSD. Aussi son frère avait envoyé un mail aux responsables de ce projet pour les en informer. Le responsable d’OpenGLUT était tombé quant à lui sur ce message dix mois plus tard.

Je ne connaissais pas cette personne, j’avais seulement eu quelques échanges sur la mailing-list. Mais j’avais remarqué la disparition de son smiley si caractéristique, quelques mois avant la disparition de son auteur.

Le mail à la communauté NetBSD date du 14 mars 2006. Dans trois jours, ça fera trois ans.

ML freeglut : FW: [Fwd: Re: Richard Rauch]
NetBSD community : Richard Rauch gone
One of our own has fallen

Un peu de temps plus tard…

Un peu plus d’un an s’est écoulé depuis ce billet où à défaut de prendre des résolutions, je faisais une liste non exhaustive des choses qui me tiennent plus ou plus moins fermement à cœur. À l’origine ce blog n’a pas pour but de tenir au courant des dernières nouvelles me concernant (sinon il aurait toutes les chances d’être tenu à jour encore plus rarement), mais je vais tout de même faire un petit point sur l’avancement de cette liste.

Dans le désordre, je vais commencer par la dernière nouvelle en date : le boulot. Quelques recherches, effectuées lorsque le temps et l’énergie laissés par les contraintes de production le permettaient, m’ont permis de me convaincre que malgré les évènements économiques récents, le marché de l’emploi reste très dynamique dans l’informatique. Même dans mon domaine, le développement 3D, pourtant assez limité (qui a encore besoin d’écrire des moteurs 3D ?) je n’ai eu aucune difficulté à trouver des gens ayant des postes à proposer. Peut-être aussi est-ce justement parce que ce domaine est limité qu’il subit moins la crise. J’ai donc présenté à la fin de l’année mes vœux, de partir. Quelle est la suite ? Rien n’est certain mais il se pourrait bien que je fasse de la 3D et de l’IHM sur iPhone.

À propos de 3D justement, à force de mener, pendant le trajet vers et depuis mon travail, des réflexions plus ou moins désordonnées sur la façon d’architecturer un moteur 3D, j’ai fini par prendre des notes, puis à les organiser. Cette évacuation de la frustration de ne pas faire la moindre 3D au travail a abouti à près d’une quinzaine de pages décrivant un moteur en bonne partie. J’ai profité d’une semaine de congés à la fin de l’été pour commencer à concrétiser cela sous forme de code et afficher des cubes. Aujourd’hui, quelques mois plus tard, je n’affiche toujours que des cubes. Rien de bien attrayant visuellement certes, mais le plaisir réside dans la manière de les afficher (ou non d’ailleurs). La satisfaction esthétique attendra. Si la chose avance au point de me sembler digne de plus d’intérêt, j’en parlerai peut-être à nouveau ici. En attendant, ça fait du bien, et je ne cacherai pas cette satisfaction personnelle fait partie des choses qui m’ont donné l’énergie d’aller voir ailleurs si l’herbe n’était pas plus verte.

Pour ce qui est des langues, je me suis finalement décidé à tenter d’approcher, avec une certaine méfiance tout de même, voire des précautions, le coréen. Pour le moment je tente d’en appréhender les sonorités, au travers de séries télévisées. Pourquoi cette langue ? Certainement pas par intérêt professionnel, ni pour un besoin irrépressible de pouvoir communiquer avec 70 millions de personnes (les mauvaises langues corrigeront par 50) de plus. Par simple curiosité, goût du défi peut-être, et intérêt comme partie intégrante d’une culture, découverte petit à petit au travers de son histoire tristement commune avec le Japon. Et comme déjà dit, parce que son système d’écriture est peut-être le meilleur au monde.

Du reste, j’ai bien tenté de jouer plus souvent au go, et même gagné (perdu ?) quelques kyû. Mais faute de régularité, tout cela ne reste guère qu’un niveau débutant. Ah, et ce site a effectivement changé de tête depuis quelques temps déjà, mais le thème n’est certainement pas de ma création.

Mine de rien, je n’ai pas non plus négligé le fait de glander un peu aussi… Petite erreur dans les priorités peut-être. :-)

Anecdotes de la Science – La tache de Poisson

Le casting de l’histoire qui suit est remarquable. Nous sommes en 1818. D’un côté, Augustin Fresnel (1788 – 1827) vient de remettre à l’Académie des Sciences un mémoire défendant une théorie complètement opposée à celle généralement acceptée ; de l’autre, François Arago (1786 – 1853), Jean-Baptiste Biot (1774 – 1862), Louis Joseph Gay-Lussac (1778 – 1850), Pierre-Simon Laplace (1749 – 1827) et Siméon Denis Poisson (1781-1840) composent le jury chargé de l’évaluer. Que des noms de théorèmes, des hommes qui ont construit la science. Mais la période est très particulière : les scientifiques sont là pour en découdre, car la bataille fait rage entre les partisans de la théorie corpusculaire de la lumière et ceux de la théorie ondulatoire.

Augustin Fresnel

Tout commence trois ans plus tôt, avec la rencontre en juillet 1815 entre Fresnel et celui qui deviendra son mentor, Arago. Le contexte politique est houleux : les Cent Jours se sont achevés le mois précédent avec la défaite de Waterloo, et Fresnel, royaliste, a été démis de sa fonction d’Ingénieur des Mines. Le contexte scientifique est l’immobilisme : la physique newtonienne est inébranlable.

Poussé par Arago qui voit son potentiel, Fresnel effectue chez sa mère, dans son village du nord de Caen, des expériences rudimentaires pour étudier la diffraction de la lumière. Le 26 octobre, il fait parvenir à l’Académie des Sciences un mémoire rapportant ses observations. Les franges qu’il constate au bord de l’ombre d’un fil de fer suivent une hyperbole, ce qui pour lui ne peut être expliqué par la théorie corpusculaire, laquelle devrait entraîner des lignes droites. Il envoie par la suite plusieurs autres mémoires, qui provoquent de vives réactions : l’opposition est de rigueur.

Le concours régulièrement organisé par l’Académie et visant à récompenser le meilleur travail sur une question choisie arrive à point : proposé le 17 mars 1817 et clôturant le 1er août de l’année suivante, il porte alors sur ce phénomène diffraction. Bien que rigoureux, il semble manifestement rédigé par un convaincu de la théorie de l’émission. Les détracteurs de la théorie ondulatoire pensent voir quelqu’un balayer cette dernière une bonne fois pour toute à l’occasion de ce concours. Arago, quant à lui, voit en Fresnel la personne capable de la défendre face à eux. Il le soutient autant qu’il le peut, et l’aide notamment à s’installer à Paris pour préparer le concours. Même André-Marie Ampère (1775 – 1836), pourtant publiquement newtonien, intervient afin que Fresnel rédige un mémoire avec ses nouveaux résultats.

Et finalement ce mémoire, remis au dernier moment, se trouve être le seul des deux reçus qui est retenu. Il est beaucoup plus poussé que les précédents, et est décrit aujourd’hui comme un chef-d’œuvre. Allant au delà des travaux de Thomas Young (1773 – 1829), l’auteur y propose un modèle permettant de prédire avec précision la position et la taille des franges, et présente l’expérience des miroirs de Fresnel.

Parmi le jury, Biot, Laplace et surtout Poisson sont de ceux qui sont fortement opposés à la théorie ondulatoire. Poisson attaque vigoureusement les arguments de Fresnel, fort notamment d’un résultat déduit de ses calculs et parfaitement contre intuitif : en plaçant un disque à une certaine distance entre un écran et une source lumineuse, on devrait observer une tache lumineuse au centre de l’ombre. Il voit là une démonstration de l’invalidité des résultats de Fresnel. Mais Arago le fait savoir à ce dernier, qui réalise l’expérience… et constate la tache lumineuse, telle que prédite par les calculs.

Sans avoir pour autant convaincu Biot et Poisson, cette anecdote, consignée par Arago, est la cerise sur le gâteau dans le succès qui couronne Fresnel. La tache lumineuse est quant à elle connue depuis sous le nom de « tache de Poisson ».

Un article sur la vie Ampère et Fresnel
Un article sur la vie de François Arago
« Mémoire sur la diffraction de la lumière » sur le site de l’Académie des Sciences (PDF)

La fête est finie

Ce graphique, obtenu grâce au site Boursorama, présente l’évolution du CAC40 au cours des cinq dernières années. à gauche, c’est la fin de la chute due à l’éclatement de la bulle Internet. S’en est suivie une période de croissance remarquable, avec une apogée en 2007, où le CAC40 valait plus de 5000 points, et dépassait même les 6000 par moments. Bref c’était la fête.

Puis il y a eu un certain recul, en plusieurs paliers, importants mais pas dramatiques. Et soudain, les subprimes : depuis c’est le drame. Hier le CAC40 a enfoncé la barre symbolique des 3000 points, autrement dit il avait perdu la moitié de sa valeur par rapport à un an et demi plus tôt. Aujourd’hui il est passé sous la barre des 2900 points.

Le voilà revenu à sa valeur de mai 2003, à la fin de la crise. Manifestement, la fête est finie.

Alors maintenant que va-t-il se passer ? L’étendue de mon ignorance en matière d’économie ne me permet certainement pas de m’avancer ; tout juste de constater. Mais il faut noter qu’au cours des dernières semaines, la valeur a rebondit plusieurs fois sur un support à 3200. Cela est à mon avis en partie dû au fait que les achats et ventes sont effectués par des humains, et que les humains aiment bien les nombres ronds. Aussi, il est probable que de nombreux ordres d’achat aient été scriptés pour être lancés à l’approche de ce seuil, ayant pour conséquence de faire remonter la valeur à chaque fois.

Après l’annonce de la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre, le CAC40 s’était écroulé de 4350 à 4000, puis avait rebondit plusieurs fois sur cette valeur jusqu’au vendredi 3 octobre. Le lundi, il la passait, et s’effondrait alors à 3200 en seulement cinq jours, soit une chute de plus de 22%, ce qui lui avait valu la première page de grands quotidiens plusieurs jours de suite.

Mais maintenant que l’on est même passé en dessous de 2900, sur quoi va-t-on rebondir ? Est-ce que la chute va se calmer, ou reprendre de plus belle comme précédemment ?