L'écran du programmeur

Il ne faut à mon avis jamais négliger l’importance d’un bon écran pour un programmeur. C’est le genre d’affirmation qui aura sans doute un goût d’évidence pour beaucoup de personnes dans l’informatique, peut-être moins pour les autres, mais il semble en tout cas que c’est le genre de règle que personne ou presque ne suit. Combien d’entreprises estiment qu’un écran d’entrée de gamme, qu’un 19″ est suffisant pour n’importe quel développeur ? Depuis que j’ai eu la chance de travailler avec un écran de 24″ au bureau, ce qui pourrait passer pour un luxe me semble aujourd’hui le minimum acceptable, et un critère dans l’évaluation du sérieux d’une entreprise.

Si vous êtes un bricoleur du dimanche, lorsque vous avez besoin d’outillage, il est vraisemblable que l’entrée de gamme soit suffisante, et même adaptée. Pour un professionnel tel qu’un électricien ou un plombier, ce matériel est son outil de travail : il est impensable d’utiliser de l’entrée de gamme, il lui faut du matériel de pro, celui qui est solide, de qualité et en conséquence, cher. Il lui faut le haut du rayon. Toute autre gamme sera inadaptée, car ces outils ne lui permettront pas de travailler correctement.

Il en va de même pour un programmeur. Son écran est son outil de travail. Le programmeur n’est certes pas un professionnel de l’image et n’a donc pas besoin d’un écran à 2500€ avec un rendu de couleurs qui tient compte du temps de chauffe. Mais un 19″ n’est pas suffisant pour autant. Qu’une entreprise fasse travailler ses développeurs avec quoi que ce soit de moins de 22″ est même très révélateur : c’est considérer qu’ils peuvent se contenter d’outils de bricoleur du dimanche.

Pourquoi cela, pourquoi ce parallèle avec la plomberie ? Un écran est un écran, et on n’use pas un écran comme on use un tournevis ou un coupe-tuyau. Serait-ce un simple caprice consistant à estimer que la taille et le prix de la machine doivent être à la mesure de son égo ? Évidemment pas, d’autant que vu à quel point les écrans de très bonne qualité sont devenus abordables, il en faudrait plus pour flatter l’ego d’un programmeur. :-)

Tout d’abord un écran plus grand permet d’afficher plus grand : cela signifie moins de fatigue oculaire et donc une plus grande capacité de travail. Comme dans beaucoup de métiers (malheureusement serais-je tenté d’ajouter) un programmeur passe la journée devant un écran, à réaliser des tâches qui demandent une forte concentration. Réduire toute source de fatigue périphérique permet de mieux se focaliser sur sa tache.

Ensuite un écran plus grand permet d’afficher simultanément plus de choses, notamment plus d’applications. Un programmeur passe typiquement sa journée à manipuler un nombre élevé d’entre elles: son éditeur, le programme qu’il est en train de développer, la sortie ou les logs du programme, l’outil de debug, le terminal (quand ce n’est pas une demi douzaine d’instances de ce dernier), l’explorateur de fichiers, la documentation, le navigateur web… Il ne travaille bien entendu pas avec tous en même temps, ce qui serait d’ailleurs contre productif étant donné que l’on se concentre mieux sur une chose à la fois, mais couramment avec deux ou trois en parallèle. Suivre à la fois éditeur, programme, sortie et debug est classique par exemple. Plus l’écran est grand, plus il permet de mettre ces applications côte à côte et moins il est nécessaire de jongler entre les fenêtres de ces programmes.

Enfin un écran plus grand permet d’afficher plus de texte. Parmi tous l’éditeur est sans doute l’outil que le programmeur utilise le plus, puisque son travail consiste en résumé à y écrire, mais aussi lire, du code. Bien qu’il soit de bonne pratique de travailler sur du code concis – fonctions courtes, fichiers courts – il n’est pas rare de travailler sur des fichiers de quelques centaines de lignes. Un tel fichier ne peut être affiché dans son intégralité, et ce serait vain du fait de la quantité trop importante d’informations assenée. Afficher une partie conséquente du fichier permet néanmoins de donner du contexte visuel facilitant la localisation d’éléments et d’éviter de devoir défiler en permanence. De plus quelque soit le projet, pour une tâche donnée, il est courant de devoir manipuler simultanément au moins deux et souvent trois fichiers différents, quand ce n’est pas beaucoup plus. Avec un grand écran il est possible d’afficher simultanément plusieurs fichiers tout en gardant ce contexte visuel. Il n’est alors plus nécessaire de jongler entre ces fichiers à chaque fois que l’on cherche une information, mais simplement de déplacer le regard.

Même le plus doué des jongleurs de raccourcis clavier avec une configuration de gestionnaire de fenêtre soignée aux petits oignons ne tient pas la comparaison en terme de vitesse face à quelqu’un à qui il suffit de déplacer le regard.

En conclusion le coût d’un écran de taille décente, ou même de plusieurs d’entre eux, est vraiment risible devant le gain en productivité pour un programmeur qui doit passer l’essentiel de son temps dessus. Si vous n’êtes pas convaincu, je vous invite à lire d’autres arguments et exemples qui me donnent même l’impression d’être encore très modéré.

Quel futur en imagerie numérique – Un spectre affichable plus large

Depuis l’apparition des premiers affichages couleurs et jusqu’à aujourd’hui, les écrans reposent sur la nature de l’œil humain, et représentent les couleurs dans l’espace RVB (rouge, vert, bleu). L’objet de ce billet est de s’interroger sur la validité de ce choix, et de manifester une certaine impatience envers une nouvelle technologie en la matière.

Sans aller plus loin que quelques considérations superficielles, rappelons que la rétine, le capteur au fond de l’œil, est composée de bâtonnets, qui sont sensibles à la luminosité, et de trois types de cônes, respectivement sensibles à trois plages de fréquences grossièrement centrées sur le rouge, le vert et le bleu. C’est la raison pour laquelle les affichages utilisent les couleurs rouge, vert et bleu : c’est la synthèse additive.

Planche n°19 du test du Docteur Shinobu Ishihara
Pourtant tout le monde n’est pas nécessairement sensible à ces trois couleurs. L’exemple le plus commun est le daltonisme : certaines personnes n’ont que deux, voire un seul type de cône, ce qui explique le fait qu’elles sont incapables de distinguer certaines couleurs. La forme la plus commune de daltonisme (la deutéranopie : l’absence de cône sensible au vert) est ainsi de percevoir indistinctement le rouge et le vert.

Mais alors, inversement, les personnes non daltoniennes ne sont-elles pas finalement daltoniennes dans une certaines mesures elles aussi ? N’y a-t-il pas des couleurs que mêmes les gens avec une vision considérée comme normale ne peuvent distinguer ? Je n’entends pas par là notre capacité à ne percevoir que le spectre dit visible, où à nécessiter un minimum d’écart entre deux teintes pour pouvoir les différencier. Mais par exemple, lorsqu’un écran affiche du vert et du rouge simultanément, on perçoit du jaune. Mais est-ce du jaune pour autant ? Non. Pour s’en convaincre, testons : observons son spectre lumineux. Pour cela, voici donc l’image présentée dans le précédent billet, représentant différentes franges de couleurs.

Franges de couleur

Le but est donc de constater la contribution de chaque frange dans les différentes fréquences du spectre visible, qui rappelons-le ressemble à ceci.

Spectre de la lumière visible

Notez comme toutes les couleurs des franges sont présentes dans ce spectre. Idéalement, une frange devrait donc avoir une forte intensité à la fréquence correspondant à sa couleur, indépendamment d’une éventuelle intensité sur d’autres fréquences.

Avec l’aide d’un CD, ou de tout autre objet capable de diffracter la lumière, observons donc le spectre des différentes raies. Les photos qui suivent présentent plusieurs problèmes, qu’il convient de prendre en compte. L’écran de test tout d’abord est un cathodique (je referai peut-être un test avec un LCD si l’occasion se présente), dont le calibrage est probablement discutable. La balance des blancs de la prise de vue n’est quant à elle pas terrible, d’où un jaune qui semble tirer sur le vert. Enfin il faut remarquer que les franges ont une certaine largeur (il fallait pouvoir les photographier), ce qui entraîne un spectre moins précis (les décompositions sur la largeur d’une frange se chevauchent un peu). Ces remarques préalables étant faites, voici le résultat.

Frange blanche

Frange rouge

Frange jaune

Frange verte

Frange cyan

Frange bleue

Frange magenta

Prenons le cas de la frange jaune : l’écran est sensé afficher une raie de jaune. Pourtant sur le spectre on observe du vert et du rouge, et un peu de bleu (dû à la luminosité de l’écran, qui a tendance à blanchir les couleurs), mais en tout cas pas de jaune. Ce n’est pas du jaune. c’est seulement une couleur que l’on perçoit comme jaune. Enfonçons bien le clou : un écran ne peut pas afficher de jaune, pas plus qu’il ne peut afficher du cyan, du magenta, ou du blanc (le spectre devrait alors ressembler à celui indiqué plus haut). Cependant si l’on mettait du véritable jaune à côté on ne verrait pas la différence, car faute d’être sensible à cette couleur nos yeux réagissent de la même façon à ces deux couleurs.

Du moins, la majorité des gens ne verraient pas la différence. Car il existe également le contraire du daltonisme : des personnes ne possédant pas trois, mais quatre types de cônes différents (des quadrichromates ; il existerait mêmes des pentachromates), le quatrième étant sensible au jaune justement. Les personnes dans ce cas doivent donc percevoir la différence entre du jaune et un mélange de vert et de rouge aussi nettement que je perçois la différence entre du vert et du rouge. N’en connaissant pas personnellement (et je serais très intéressé par le témoignage de quelqu’un ayant cette expérience), je n’ai pas de témoignage le confirmant, mais j’ai la conviction que pour elles les écrans doivent sembler bien peu fidèles…

Notez d’ailleurs que même pour les personnes ayant une vue classique à trois types de cônes, la synthèse additive ne constitue pas une approximation suffisante. En effet, il existe des couleurs que la plupart des gens savent distinguer et que les écrans sont parfaitement incapables d’afficher. Vous n’êtes pas convaincu ? Vous voulez un exemple ? Essayez d’afficher du orange fluo pour voir.

Alors ma question est : quand aura-t-on des affichages qui ne soient plus basés sur cette astuce médiocre de la synthèse additive, mais qui soient véritablement capables d’émettre n’importe quelles fréquences (notez le pluriel) du spectre visible ? Dans un premier temps, l’amélioration peut passer par l’utilisation d’un plus grand nombre de couleurs primaires (voir ma note ci-après). Mais au delà, on peut imaginer la mise au point d’un matériau dont les caractéristiques chromatiques pourraient être contrôlées par excitation par un courant. On pourrait alors envoyer des signaux correspondant au spectre souhaité et obtenir la couleur correspondante, de la même façon qu’en envoyant à un haut-parleur un signal, on obtient un son ayant pour spectre le spectre de ce signal (avec plus ou moins de fidélité bien sûr).

La publication de ce billet a été pas mal retardée par la démonstration du spectre de l’écran, que je n’avais ni le temps ni l’occasion de réaliser (d’ailleurs un grand merci Boris pour le coup de main lors de la séance photo). Or entre temps j’apprenais par le site Akihabara News que Sharp travaille sur la construction d’un écran LCD avec cinq couleurs primaires. Cela me conforte donc dans la conviction que l’amélioration radicale du spectre des écrans est l’une des évolutions proches de l’imagerie numérique.

Beam

Article « Rouge vert bleu » sur Wikipédia

Cours « La vision des couleurs »

Article « Daltonisme » sur Wikipédia

Un dispositif de test simple pour observer le spectre d'un écran

Cette image qui pique les yeux est l’un des éléments d’une petite expérience liée à un prochain article. Elle va me servir à observer le spectre de la lumière émise par un écran selon la couleur affichée.

Bien que cela ne transparaisse pas tellement dans ce blog, un de mes sujets d’intérêts majeurs est la 3D, et plus généralement l’imagerie numérique. Si je n’ai ni la connaissance ni l’expérience suffisantes pour traiter avec régularité et aplomb du sujet, j’ai néanmoins quelques idées sur son devenir. Aussi je vais tâcher de publier quelques articles sur le thème : « Quel futur en imagerie numérique ». Plusieurs sont déjà en cours, dont certains pratiquement terminés.

L’un d’entre eux, qui devrait être le premier à être publié, concerne le spectre des écrans actuels et leurs lacunes. Afin de soutenir mon propos, j’ai besoin d’un dispositif simple permettant de mettre en évidence le spectre d’un écran. N’étant pas dans un laboratoire d’optique, je ne dispose bien évidemment pas d’un appareil permettant une quelconque mesure. De plus, je préfère une méthode simple, éventuellement grossière mais néanmoins rigoureuse, que n’importe quel lecteur peut reproduire.

Observer le spectre d’une source de lumière ? Un prisme bien sûr, répond-t-on automatiquement. Mais qui possède un prisme ? En avez-vous ne serait-ce que déjà eu un entre les mains ? Moi non, ou peut-être une fois, dans un lointain cours de physique au lycée. Il va donc falloir trouver autre chose de plus commun. Alors que je faisais le tour de ce qui pouvait faire l’affaire, mon attention s’est arrêtée sur… un CD traînant sur mon bureau (sourire bête et bienheureux de celui qui vient de trouver une solution simple et inattendue à son problème). Tout le monde possède au moins un CD. :-) Un rapide test réalisé immédiatement après s’est avéré concluant.

Ça fait un peu solution bricolage, mais après tout les expériences d’Augustin Fresnel (dont j’ai déjà parlé) étaient autrement plus rudimentaires, et lui ont pourtant permis d’obtenir des résultats qui feront trembler la communauté scientifique. Et par « rudiementaires », il faut comprendre qu’il faisait des mesures sur des rayons de lumière éclairant des fils de fer en traversant des gouttes de miel, faute de lentille !

À venir donc, une petite réflexion sur la technologie actuellement utilisée pour les affichages, dès que j’aurai pu tester et photographier le bricolage expérimental dont il est question.