Le casting de l’histoire qui suit est remarquable. Nous sommes en 1818. D’un côté, Augustin Fresnel (1788 – 1827) vient de remettre à l’Académie des Sciences un mémoire défendant une théorie complètement opposée à celle généralement acceptée ; de l’autre, François Arago (1786 – 1853), Jean-Baptiste Biot (1774 – 1862), Louis Joseph Gay-Lussac (1778 – 1850), Pierre-Simon Laplace (1749 – 1827) et Siméon Denis Poisson (1781-1840) composent le jury chargé de l’évaluer. Que des noms de théorèmes, des hommes qui ont construit la science. Mais la période est très particulière : les scientifiques sont là pour en découdre, car la bataille fait rage entre les partisans de la théorie corpusculaire de la lumière et ceux de la théorie ondulatoire.
Tout commence trois ans plus tôt, avec la rencontre en juillet 1815 entre Fresnel et celui qui deviendra son mentor, Arago. Le contexte politique est houleux : les Cent Jours se sont achevés le mois précédent avec la défaite de Waterloo, et Fresnel, royaliste, a été démis de sa fonction d’Ingénieur des Mines. Le contexte scientifique est l’immobilisme : la physique newtonienne est inébranlable.
Poussé par Arago qui voit son potentiel, Fresnel effectue chez sa mère, dans son village du nord de Caen, des expériences rudimentaires pour étudier la diffraction de la lumière. Le 26 octobre, il fait parvenir à l’Académie des Sciences un mémoire rapportant ses observations. Les franges qu’il constate au bord de l’ombre d’un fil de fer suivent une hyperbole, ce qui pour lui ne peut être expliqué par la théorie corpusculaire, laquelle devrait entraîner des lignes droites. Il envoie par la suite plusieurs autres mémoires, qui provoquent de vives réactions : l’opposition est de rigueur.
Le concours régulièrement organisé par l’Académie et visant à récompenser le meilleur travail sur une question choisie arrive à point : proposé le 17 mars 1817 et clôturant le 1er août de l’année suivante, il porte alors sur ce phénomène diffraction. Bien que rigoureux, il semble manifestement rédigé par un convaincu de la théorie de l’émission. Les détracteurs de la théorie ondulatoire pensent voir quelqu’un balayer cette dernière une bonne fois pour toute à l’occasion de ce concours. Arago, quant à lui, voit en Fresnel la personne capable de la défendre face à eux. Il le soutient autant qu’il le peut, et l’aide notamment à s’installer à Paris pour préparer le concours. Même André-Marie Ampère (1775 – 1836), pourtant publiquement newtonien, intervient afin que Fresnel rédige un mémoire avec ses nouveaux résultats.
Et finalement ce mémoire, remis au dernier moment, se trouve être le seul des deux reçus qui est retenu. Il est beaucoup plus poussé que les précédents, et est décrit aujourd’hui comme un chef-d’œuvre. Allant au delà des travaux de Thomas Young (1773 – 1829), l’auteur y propose un modèle permettant de prédire avec précision la position et la taille des franges, et présente l’expérience des miroirs de Fresnel.
Parmi le jury, Biot, Laplace et surtout Poisson sont de ceux qui sont fortement opposés à la théorie ondulatoire. Poisson attaque vigoureusement les arguments de Fresnel, fort notamment d’un résultat déduit de ses calculs et parfaitement contre intuitif : en plaçant un disque à une certaine distance entre un écran et une source lumineuse, on devrait observer une tache lumineuse au centre de l’ombre. Il voit là une démonstration de l’invalidité des résultats de Fresnel. Mais Arago le fait savoir à ce dernier, qui réalise l’expérience… et constate la tache lumineuse, telle que prédite par les calculs.
Sans avoir pour autant convaincu Biot et Poisson, cette anecdote, consignée par Arago, est la cerise sur le gâteau dans le succès qui couronne Fresnel. La tache lumineuse est quant à elle connue depuis sous le nom de « tache de Poisson ».
Un article sur la vie Ampère et Fresnel
Un article sur la vie de François Arago
« Mémoire sur la diffraction de la lumière » sur le site de l’Académie des Sciences (PDF)