Le graphiste

Entre le jeu vidéo et le développement d’applications plus classiques j’ai eu l’occasion de travailler avec un certains nombre de graphistes, et de remarquer comme certains traits se retrouvent souvent chez cette espèce. Aujourd’hui j’ai envie de me faire plaisir, et de vous raconter : le graphiste.

À ceux qui ne me connaissent pas, mon métier est programmeur. Si vous ne situez pas ce que c’est, je vous renvoie à cette phrase d’un game-designer de Blizzard qui résumait la création d’un jeu vidéo :

Programmers make the game run, artists make it beautiful, but it is the designer’s job to make it fun.

Les programmeurs font marcher le jeu, les graphistes le rendent beau, mais c’est au game-designer de le rendre sympa.

En tant que programmeur, on peut être amené à beaucoup communiquer avec des graphistes, et c’est amusant car ce sont deux espèces qui n’ont pas la même apparence, pas la même culture, pas la même approche et qui ne parlent pas la même langue. :-)

Le graphiste se reconnaît d’abord à son allure. Alors que la tenue vestimentaire du programmeur évolue plutôt depuis le jean et teeshirt lorsqu’il est jeune diplômé, vers un habillement dit classique à l’approche de la trentaine, pantalon de ville et chemisette avec peut-être encore quelques référence à la culture geek, le graphiste au contraire est tout droit sorti d’une affiche publicitaire. Coupe de cheveux tendance, pantalon décontracté à la découpe moderne, attributs corporels divers : bracelets, piercings, éventuellement paire de chaussures hors du commun, etc. Attention, ce n’est pas du punk brutal : c’est plus subtil et sophistiqué, même si c’est parfois proche du personnage de jeux vidéos.

Ensuite le graphiste à besoin d’un environnement très particulier pour travailler. Outre la tablette graphique, on reconnaît sans hésitation son bureau à l’écosystème qui s’y est rapidement développé : affiches, Nintendo DS et boites de jeux vidéos, livres d’artworks, feuilles de brouillon avec des dessins esquissés (souvent de grande qualité), figurines et autres objets improbables en nombre et tailles variées (qui peuvent aller jusqu’au dragon de 30cm d’envergure posé sur l’écran). Le graphiste a en effet besoin d’une sollicitation visuelle importante pour être productif.

La salle du groupe de graphiste est normalement bruyante ; c’est ce qui la rend parfaitement incompatible avec l’environnement du programmeur. Le graphiste a besoin d’un flux continu de conversations pour pouvoir travailler. Séparez un graphiste de son groupe pour le mettre dans le bureau austère et silencieux (selon des critères de graphiste) des programmeurs et il va vite montrer des signes de dépression. Mettez au contraire un programmeur dans la salle des graphistes et il ne pourra tout simplement plus travailler du tout.

Le chef des graphistes se reconnaît à la taille de son écran. Son titre est D.A. : il est craint et respecté. Beaucoup rêvent d’être lui car c’est lui qui décide de l’orientation du style graphique, et c’est quand même plus sympa que de faire des textures d’herbe à longueur de journée.

Comme pour les chasseurs, en terme de talent, il y a le bon graphiste et le mauvais graphiste. Quand le bon graphiste vient vous poser une question tout en s’occupant les mains avec une feuille qui traîne sur votre bureau, la feuille termine au mur de votre bureau. Si par chance vous êtes un programmeur très sollicité par un bon graphiste, rapidement les autres programmeurs deviennent jaloux de votre mur. Quand le mauvais graphiste vient vous voir, vous vous retenez de lui expliquer que son animation de personnage qui court est complètement ratée parce que ça ne servirait à rien.

Le graphiste parle une langue différente. Le graphiste expérimenté utilisera sans pitié des termes techniques de typographie ou de composition. Dans un tel cas soit vous vous serez déjà documenté sur le sujet, soit vous aurez affaire à un graphiste pédagogique, soit vous serez largué. Le graphiste peu expérimenté mettra à peu près tout et n’importe quoi derrière une liste relativement courte de mots tels que « flou », « shader », « glow »… et vous aurez toutes les peines du monde à comprendre ce qu’il essaie de vous dire en graphiste. De temps en temps le graphiste essaiera de vous emprunter votre vocabulaire technique mais pour y mettre d’autre chose, et vous devrez penser à traduire.

Le graphiste est étranger à l’idée de système de gestion de versions. C’est normal qu’il ne connaisse pas : les outils de production ne sont pas son domaine de compétence. Mais là je ne dis pas qu’il ne connaît pas, j’insiste sur le fait qu’il y est étranger. Vous aurez beau lui expliquer le principe, le fait que ça permet de retrouver n’importe quelle version précédente d’un fichier pour lui éviter d’avoir à s’en préoccuper, lui montrer comment on s’en sert : vous trouverez régulièrement sur votre dépôt des fichiers texture_backup.png et texture_backup2.png. Vous verrez également fleurir des fichiers créés automatiquement tels que les thumbs.db de Windows, lorsque le graphiste aura tout ajouté automatiquement sans vérifier.

Le graphiste n’accorde d’ailleurs pas la moindre importance aux noms de fichiers et sera incapable de respecter toute règle de nommage quelle qu’elle soit. Le nom d’un fichier créé par ses soins est fonction de son inspiration du moment, et a de fortes chances de changer s’il doit un jour apporter une modification. Vous verrez donc facilement un fond.png à côté d’un background.jpeg et d’un bg_bleu.png, qui seront en fait la même ressource. Il faut être attentif. Souvent c’est votre projet lui même qui vous signalera les nouveautés, non pas parce que vous verrez de nouvelles choses apparaître, mais parce que vous verrez apparaître des choses qui ne marchent pas. Expliquez lui qu’il lui suffit de placer un objet nommé « mine » dans le monde pour avoir une mine créée à cet emplacement, et vous trouverez rapidement tout un tas de « Mine », « mines », « mine1 », « mine_bleue » et autres preuves de créativité. Oubliez l’idée d’essayer de lui expliquer que l’outil d’import ne peut pas deviner ce qu’il voulait faire : faire un outil d’import qui devine ce qu’il voulait faire vous prendra moins de temps. C’est la conclusion à laquelle je suis arrivé en voyant un de mes collègues essayer l’une, puis l’autre méthode.

Le graphiste n’accorde pas non plus d’importance à l’aspect technique. En cela que ce n’est pas son travail, je le soutiendrais entièrement, s’il avait des outils lui permettant de s’abstraire de cet aspect. Mais ce n’est pas le cas : ses outils lui permettent d’exporter dans un luxe possibilités de formats parmi lesquels le choix risque fort d’être arbitraire. Le graphiste vous sortira sans problème une photo en PNG, un aplat en JPEG, des images monochromes en RGBA et des textures dans des résolutions absolument obscènes aux limites techniques des cartes graphiques pour des éléments qui ne feront que quelques pixels à l’écran. Paradoxalement, il pourra vous enseigner malgré lui des détails techniques fort intéressants sur ces formats. C’est par exemple quand un graphiste m’a envoyé une image au format PNG de près de 1Mo pour moins de 500 par 500 pixels que j’ai découvert que ce format gérait les calques : le fichier contenait les dix versions de l’image…

La rigueur dans le positionnement des éléments est étonnamment fluctuante chez le graphiste. Lors de la création d’une interface un peu jolie par exemple, il appartient au graphiste de faire les différentes version d’un bouton (normal, appuyé, sélectionné…) ou d’une fenêtre (active, en arrière plan…) pour ne citer que ces éléments. Les différentes versions venant s’afficher au même endroit selon l’état de l’élément. Naturellement en tant que programmeur, il vous semblera évident que ces versions doivent être calées au pixel près. Si vous travaillez avec un graphiste qui fait des éléments de la même taille et correctement alignés, prenez en soin, c’est un spécimen rare.

Mais à l’inverse, si le graphiste imagine un élément textuel et vous propose un exemple réalisé avec Photoshop, que les astres vous protègent si vous n’avez pas les moyens techniques de reproduire le résultat exactement à l’identique ! L’affichage de texte est d’ailleurs un thème de désaccord très récurrent entre graphistes et programmeurs. Lorsque le graphiste doit imaginer un élément textuel, il se transforme en maquettiste : les images viennent s’agencer et s’aligner autour pour un résultat le plus esthétique possible. Malheureusement il oubliera immanquablement de tenir compte de l’aspect dynamique de ce texte, à l’instar de sa composition. Qu’il s’agisse d’un compteur et il vous proposera un exemple avec deux chiffres qui ne marchera plus avec un ou trois chiffres, ou pire, il vous dessinera des chiffres ne feront pas tous la même largeur, donnant un résultat atroce une fois animé. Qu’il s’agisse de mots, et vous pourrez lire dans ses yeux toute la frustration du monde lorsque vous lui rappellerez que dans la version allemande son texte sera trois fois plus long et ne rentrera pas dans l’espace qu’il a prévu.

Mais pour le coup, dans ce cas là vous pourrez pleurer avec lui d’en être réduits à faire un truc moche et aller noyer votre chagrin ensemble dans le pub en bas du bureau.

Une parenthèse sur l'iPad d'Apple et pourquoi il va cartonner

La semaine dernière Apple ouvrait sa messe tant attendue par beaucoup, notamment la communauté des fans et celles des enthousiastes du tactile : le Keynote. Cela devait mettre fin aux rumeurs galopantes sur la sortie d’une tablette tactile par Apple, révéler ses caractéristiques, son apparence, son nom et son prix. À l’issue de ces révélations, beaucoup ont été déçu et j’en fais partie. Pourtant je suis persuadé que l’iPad va être un énorme succès commercial et même dominer le marché.

Tout d’abord pourquoi une telle déception ? Personne n’attendait de l’iPad qu’il brille dans le noir ou qu’il ait un affichage tout droit sorti de film de science fiction. Mais à le voir, on peut trouver que c’est un produit qui est en retard sur son marché : des tablettes tactiles, il en existe déjà, et celle-ci n’apporte rien de nouveau techniquement. Rien à voir avec l’iPod qui ou le Mac Book Air, qui lors de leur sortie se plaçaient très au dessus de l’existant. D’autre part le design est très décevant : un vulgaire iPhone en plus grand. Il me semble même comporter des erreurs grossières : un clavier tactile alors que l’on sait que cela ne marche que mal, une forme courbée qui empêche de le poser sur une table pour travailler, une interface logiciel d’iPhone, qui si elle est très bien pour un PDA, semble inadaptée à un format de cette taille. Enfin, on s’y attendait, c’est un système complètement fermé dont Apple a le secret.

Je ne compte par contre pas l’absence de caméra, pourtant très critiquée, comme un réel défaut. Cela me semble en effet être une fonctionnalité somme toute mineure : il faut laisser les habitudes se faire avant que faire de la visioconférence avec cette tablette se présente comme un besoin.

Mais alors pourquoi si je lui trouve tous ces défauts, et surtout si j’estime que la concurrence fait déjà mieux techniquement, est-ce que je suis convaincu de son succès ? Parce que c’est Apple ? Pas vraiment. Certes Apple a une force de frappe commerciale et un don pour donner envie d’acheter ses produits qui ont déjà fait leurs preuves. Mais dire que cela va marcher parce que d’habitude c’est le cas est sans intérêt. Non, la vraie raison, le point qui va faire toute la différence, d’après moi, c’est la communauté de développeurs iPhone.

Les interfaces tactiles sont quelque chose de relativement nouveau dans les produits grand public. Les éditeurs ont un énorme manque d’expérience avec ce type d’interface utilisateur, et d’une façon générale une certaine réticence à s’adapter à tout ce qui est nouveau (je pense notamment aux nombreux jeux sur Wii et sur iPhone qui ne tirent aucunement partie de leurs nouveaux types d’interactions et qui ne sont que de vulgaires portages de gameplay classiques). L’écosystème des applications sur tablettes a donc toutes les chances d’être un joyeux bordel parfaitement inutilisable, très hétérogène et avec des interactions très pauvres.

Or le système d’AppStore tord le cou d’emblée à ces deux problèmes. En effet Apple fournit un SDK, émet des recommandations strictes et contrôle toute application avant d’en permettre la mise sur l’AppStore, ce qui règle le problème de l’hétérogénéité. Mais surtout, surtout, ce SDK est le même que celui qu’utilisent les développeurs iPhone depuis deux ans. Cela signifie qu’alors que la tablette n’est pas encore commercialisée, il existe déjà une énorme communauté de développeurs qui savent déjà ou presque développer pour l’iPad. Elle est là la différence.

Comparez cela aux diverses tablettes tournant sous Windows Seven ou autre…

Que fait la police ?!

Samedi soir, environ minuit : la discussion avec Nicolas va bon train. Dehors du vacarme, et des cris répétés et insistants. Difficile d’identifier s’il s’agit de cris d’euphorie ou d’angoisse. Avant même de voir quoi que ce soit, une image se forme à partir du seul bruit. Des jeunes. Pas loin d’une dizaine. Le cri est nettement féminin. Je jète un œil depuis le balcon : soit c’est la fête, soit c’est grave.

En bas, sur la rue, un jeune au sol recroquevillé. Autour de lui, quatre autres lui donnent d’abondants coups de pieds. À côté, une fille hurle d’arrêter. Au bruit, il y a d’autres personnes plus loin que je ne vois pas. C’est trop dangereux de descendre : « Nicolas, appelle les flics, ils sont en train de tabasser un mec en bas. Ils sont quatre dessus. » Une sirène devrait suffire à les disperser, ça évitera au gars d’en prendre trop longtemps (le commissariat du 13ème est à moins de 4 minutes) et éventuellement d’y rester.

Ça se calme un peu ; ça se déplace ; on ne les voit plus ; ça reprend. Les gens crient d’arrêter depuis les fenêtres. Un vieux menace d’appeler la police, splendide démonstration d’égoïsme : le gars en train de se faire démolir en bas ne lui importe pas, il est juste gêné par le bruit. De toute façon, on l’a déjà appelée. La rue est à sens unique : quand la voiture arrivera, on la verra.

Mais la police, on ne l’a pas vue. Ni entendue.

Sachez-le : si vous vous faites agresser dans Paris, vous ne pourrez compter que sur vous.

P.S. : Je fais quoi la prochaine fois, j’appelle les pompiers ? Eux au moins ils se déplacent, et il pourront toujours évaluer les dégâts.

L'homme qui venait de partout

Pour mon deuxième passage à Hiroshima, deux ans après le premier, je suis retourné à ce café que la serveuse d’un restaurant avait eu la gentillesse de nous conseiller : le Café 44 (à prononcer en français).

Là, assis seul au bar, faute de place ailleurs en ce vendredi soir, je discute avec la serveuse du bar. Elle est déjà venue à Paris, il y a deux ans. Amusant comme coïncidence. Un client s’installe un peu à ma droite : un homme d’une quarantaine d’années, apparemment employé de bureau, peut-être avec des responsabilités, probablement père de famille. Il semble être un habitué des lieux et entame la discussion avec la serveuse et moi.

Je lui demande d’où il vient. C’est une question que je pose souvent aux japonais que je rencontre. « De Osaka. Mais j’ai habité à Tokyo. » À son tour il me demande par quelles villes je suis passé : Tokyo, Nagoya… « Ah, Nagoya, j’ai vécu à Nagoya aussi ! » « Mais vous avez vécu partout ! » « Oui, un peu. » concède-t-il avec un sourire.

Je lui demande alors, parmi ces villes, dans laquelle il a préféré vivre. La question m’est naturelle, pourtant il semble surpris. Elle le plonge dans une profonde réflexion, comme si on ne la lui avait jamais posée auparavant.

Après un temps il me répond : « Kobe ».

Depuis le balcon

Je suis assis au balcon, au huitième étage de cet immeuble dans lequel j’ai emménagé il y a maintenant un peu plus d’un mois. Ce soir mon colocataire n’est pas encore rentré, et l’habituelle discussion légère du soir est remplacée aujourd’hui par un instant de calme.

Ce soir il fait frais ; avec cette chemise épaisse ça va, mais les jours se sont rafraichis dernièrement. Il semblerait que ce soit vraiment la fin de l’été. J’espère que l’on aura tout de même un weekend de répit ensoleillé avant que l’automne n’affirme sa présence.

J’écoute le bruit de la ville, à l’abri des immeubles. Un léger ronflement continue et informe, qui laisse place dès que l’on y prête attention à de lointains pneus sur le boulevard, accélérations de motos et autres sirènes. Il y a parfois également quelques voix ou un aboiement, provenant de quelque rue en bas.

Le ciel n’est pas tout à fait noir. Il ne le sera de toute façon pas plus que cela, limité par la pollution lumineuse à ce violet grisâtre aux ambitions d’orangé.

Devant moi, les tours du 13ème, et, plus près, quelques immeubles beaucoup moins élevés, aux appartements que l’on vendrait en disant « de standing ». Les couleurs des fenêtres sont sensiblement les mêmes. Il y a les appartements aux lumières éteintes, ceux aux lumières chaleureuses, et puis il y a cette fenêtre bleuâtre, avec ce gars probablement en train de jouer à un jeu vidéo sur son ordinateur tout en téléphonant semble-t-il. Il y a à l’autre étage elle qui bricole je ne sais quoi dans sa cuisine, et lui qui passe une main affectueuse sur ses omoplates en passant à côté d’elle. Il y a là bas quelqu’un qui ferme un rideau.

Parfois on distingue une personne, parfois même plusieurs – encombrement dans la cuisine, peut-être une soirée entre amis – mais la plupart de ces fenêtres ne sont que des rectangles colorés, de teinte allant de l’orange au jaune sensiblement vert, avec parfois une étoile étincelante, la lumière de la pièce.

C’est calme ce soir. Comme tous les soirs. C’est reposant d’observer ce paysage urbain après la journée. Rentrons.

Nuit orangée