Parfois, les mathématiques ont comme un goût d’anachronisme. Par exemple on pourrait naturellement s’attendre à ce que les nombres premiers aient été trouvés dans l’ordre croissant. C’est d’ailleurs le cas pour la plupart. Mais lorsque l’on observe la chronologie de la découverte de ces nombres, il y a comme un intrus : un nombre dont la démonstration de la primalité semble complètement anachronique. On doit cette anecdote au mathématicien Édouard Lucas.
Rappelons qu’un nombre premier est un entier naturel qui ne connaît que deux diviseurs, distincts : 1, et lui même. Ainsi sont premiers 2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 23, etc. Il est très probable qu’au début, les mathématiciens s’intéressant à ces nombres se soient donné la peine de les rechercher, grand jeu s’il en est, de façon naïve, c’est à dire en avançant de nombre en nombre et en vérifiant les diviseurs de chacun.
Puis à mesure que les mathématiques ont avancé, fournissant de nouveaux outils, et que la connaissance des nombres premiers s’est enrichie de propriétés de ces derniers, on a su exprimer de plus en plus de ces nombres, de plus en plus grands. Mais cela ne change a priori pas le fait que les nombres premiers soient découverts dans l’ordre croissant du fait de la difficulté croissant avec la taille des nombres. Et pourtant.
La chronologie des nombres premiers jusqu’au début des années 60 est la suivante :
- 1461 : 5 chiffres (auteur inconnu)
- 1588 : 6 chiffres (Cataldi)
- 1750 : 10 chiffres (Euler)
- 1883 : 19 chiffres (I.M. Pervushin)
- 1911 : 27 chiffres (Powers)
- 1914 : 33 chiffres (Powers)
- 1876 : 39 chiffres (Lucas)
- 1952 : 157, 183, 386, puis 687 chiffres (Robinson)
- 1957 : 969 chiffres (Riesel)
- 1961 : 1281 puis 1332 chiffres (Hurwitz et Selfridge)
Notez la découverte en 1914 d’un nombre premier de 33 chiffres, et celle par Édouard Lucas d’un nombre premier de 39 chiffres en… 1876. Soit un anachronisme de plus d’une trentaine d’années et trois records battus en avance !
Édouard Lucas (1842 – 1891) est entre autres l’auteur d’un test de primalité, qu’il utilisa pour démontrer la primalité du nombre de Mersenne M127, sans pour autant l’exprimer. Chose amusante également : ce nombre reste à ce jour le plus grand nombre premier dont la primalité a été démontrée sans recourir à un ordinateur.
Article « Nombre_premier » sur Wikipédia
Article « Nombre premier de Mersenne » sur Wikipédia
FAQ « Prime Numbers » sur une archive de Usenet
Article « Édouard Lucas » sur Wikipédia
Je m’insurge dès la seconde phrase, qui me parait fort naïve. L’irrégularité temporelle perçue me parait au contraire tout à fait naturelle.
En effet, le jeu de la découverte des nombres premiers est beaucoup moins intéressant en terme d’applications pratiques que la découverte de nouvelles méthodes de preuve de primalité.
Pas d’insurrection ici monsieur ! On est d’accord que la découverte des nombres eux-mêmes n’a que peu d’intérêt. Mais il semble que les mathématiciens y soient attachés. Après tout établir des records a un certain côté ludique.
Peu d’intérêt ? C’est sans doute ignorer l’utilité voire la nécessité de découvrir de nouveaux nombres premiers indispensables à la robustesse des codes RSA.
C’est une de mes annecdotes favorites, ce mathématicien conscient que son époque ne lui permettra pas d’exprimer un nombre mais que plus tard, ça le sera, et qui publie un résultat en avance sur son temps.
Par contre formellement le nombre est exprimable sans problème en base 2, c’est juste 111…11 avec 127 chiffres ‘1’.
Mais à l’époque un entier était considéré comme exprimé quand il était en base 10.
Je dirais qu’en 1944 ils avaient la matériel capable d’exprimer ce nombre en décimal, il suffit d’instructions minimales et de quelques octets de mémoire pour convertir un nombre de 127 bits en décimal. Et le Collossus (http://en.wikipedia.org/wiki/Colossus_computer) aurait pu le faire, même s’il avait alors des applications autrement plus importantes.